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les courans. Habile à étudier au loin les voiles qui cinglaient en tous sens, il savait reconnaître la destination du navire, son importance et sa nation. Une longue-vue, toujours braquée sur le parapet de pierre, lui permettait de scruter tous les coins de l’horizon. Du haut de sa tour isolée, il assistait à cet éternel combat du génie humain contre les obstacles de la création ; il voyait se croiser les mille liens d’intérêts ou de nécessités qui, à travers les tempêtes et les abîmes, rattachent l’un à l’autre les peuples séparés. Il avait là le spectacle journalier que nous cherchons à notre fenêtre aux heures d’oisiveté ; seulement la rue sur laquelle il regardait était l’infini, et formait le carrefour de deux mondes.

Un soir, après avoir promené sa longue-vue vers tous les points du ciel, il l’arrêta sur le petit port, dont une voile venait de doubler la jetée. La mer était sombre plutôt qu’agitée ; mais la rafale de nuit qui commentait à s’élever à l’ouest fraîchissait d’instans en instans. À mesure que le caboteur perdait l’abri de la terre, on le voyait s’incliner davantage et labourer plus péniblement la vague. Il s’efforçait de monter dans le vent pour atteindre la passe pendant que le soleil éclairait encore sa route. Bien que la manœuvre fût hardie, elle n’ai ait rien qui pût inquiéter. Après l’avoir suivie un instant, maître Simon quitta la longue-vue, promena encore son regard à l’horizon ; puis, rétrécissant peu à peu le cercle qu’il embrassait, le ramena sur la chaîne de récifs et sur l’îlot. Le soleil couchant les empourprait déjà de ses lueurs, et le flux commençait à ensevelir la chaussée sous ses tourbillons écumeux. Tout à coup le vieux gardien aperçut la pâlotte qui accourait de la pointe extrême de l’écueil, franchissant avec peine les ravines déjà envahies par la mer, et grimpant le long de la pente abrupte qui les réunissait à l’îlot. Elle portait dans ses bras un fardeau informe dont le poids semblait ralentir sa marche. Elle atteignit pourtant la base du vieux phare. Simon l’entendit bientôt dans l’escalier tournant et la vit enfin apparaître sur la terrasse, les traits brillans d’une joie triomphante.

— Qu’y a-t-il ? demanda le marin étonné.

Elle ne répondit que par l’interjection stridente qui lui était ordinaire dans ses élans de joie, et déposa l’objet qu’elle portait aux pieds de Simon. Celui-ci reconnut alors un de ces petits barils anglais destinés aux spiritueux, et de la contenance d’un gallon. Débris de quelque naufrage, les algues et les coquillages, sous lesquels il avait presque disparu, attestaient son long séjour dans les flots. Maître Lavau demanda à la pâlotte où elle l’avait découvert.

— Là… là… dit-elle en montrant du doigt un récif dont on n’apercevait plus que le sommet, j’en ai encore vu d’autres ; mais le rocher les tient. Regardez, il y a des cercles de fer.