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vers le sommet de la tour, au-dessous même de l’appareil à réflecteur, n’était guère plus spacieuse que la cabine du moindre navire côtier ; mais, si étroite qu’elle fût, elle lui suffisait. Simon avait là son cadre, son coffre de matelot, une table de sapin, quelques planches pour poser ses ustensiles de ménage, un portrait de l’empereur et un crucifix. Chaque samedi, une barque sortait du petit port situé presque en face et distant d’environ trois lieues marines pour lui apporter les provisions de la semaine. S’il avait besoin, dans l’intervalle, de quelque secours pressant, un pavillon hissé au sommet de la tour avertissait le patron, qui devait mettre aussitôt à la voile pour le vieux phare.

Un jour cependant le patron arriva de lui-même et sans être averti, amenant à Simon Lavau un remplaçant temporaire. Il venait avertir le vieux gardien que sa sœur mourante le réclamait. La barque cingla aussitôt vers le port, qui se dessinait au loin dans la brume du soir. À l’arrière, près du patron qui tenait la barre, était assis le gardien du vieux phare. Lavau pouvait avoir au plus soixante ans ; mais son front chauve, ses joues hâves et sa bouche édentée accusaient les longues fatigues de la mer. Rien n’eût frappé dans son costume de simple matelot, s’il n’eût porté, sur sa veste de drap bleu, un ruban déteint auquel pendait une croix d’honneur noircie par le temps. Simon la devait à un acte héroïque dans lequel se révélait tout son caractère resté seul à bord d’une canonnière que deux bricks anglais avaient forcée à faire côte, il s’était enveloppé du pavillon tricolore et avait sombré à son poste, sans vouloir ni fuir ni se rendre. Une vague le rejeta au rivage, enseveli dans son glorieux linceul, et un hasard providentiel amena des paysans qui le rappelèrent à la vie. L’aventure fut heureusement connue, l’histoire répétée, et elle lui valut cette décoration qu’il portait comme un témoignage de son culte pour le devoir.

C’était par là surtout, par là seulement que Simon pouvait être offert en exemple. De courte intelligence et sans force contre les tentations de la cambuse, il n’avait mérité l’attention de ses chefs que par sa stoïque obstination dans l’exécution de l’ordre accepté. Vrai fils de Sparte, il était toujours prêt, comme les trois cents, à mourir aux Thermopyles pour obéir aux saintes lois. Tantôt héroïque, tantôt bouffon, ce fanatisme du devoir s’exprimait du reste sans mesure. Mettant son honneur à l’accomplissement de sa tâche, quelle qu’elle fût, Simon pouvait devenir également, selon l’occurrence, un Vatel ou un Léonidas.

Les bras croisés sur sa poitrine et un de ses pieds appuyé au premier banc de la chaloupe, il écoutait les détails que lui donnait le patron Jacques Merlet sur la maladie de sa sœur Madeleine. Ses seules réponses étaient des interjections inarticulées dont il entrecoupait de loin en loin le discours de son interlocuteur. Tout au plus allait-il