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Quelques anecdotes nous la montrent dans ce rôle charitable, à son grand avantage, patiente, pleine de tactique et de noble diplomatie. Une fois entre autres, on lui montra une femme d’un caractère détestable, endurcie et invincible dans son obstination vicieuse. Elle était au lit et touchait à sa fin dernière. Marguerite, restée seule avec elle, lui adressa ces paroles directes et froides : « Eh bien ! vous voulez donc mourir ? — Oui, répond la pécheresse, et non pas avec les secours de la religion ; je l’espère bien. — C’est tout ce qu’il faut, reprit Marguerite, je désirais seulement savoir votre pensée. » Alors elle commença à lui parler de sa santé, de ses espérances avec entraînement et avec une persuasive éloquence ; puis, se levant au bout d’une longue séance « Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ? demanda-t-elle. — Oui, lui répondit la misérable, je serais heureuse si vous vouliez prier avec moi. » Oh ! comme les brillans amis et les conversations idéales sont loin ! mais dans ce rôle religieux et cette fois complètement féminin, Marguerite ne me paraît pas moins remarquable que dans son rôle philosophique et païen de prophétesse et de sibylle.


IV

Nous avons analysé et exposé le caractère et les opinions de Marguerite, en négligeant un peu sa vie : c’est que ses Mémoires ne racontent pas une existence, mais racontent un caractère. Nous n’avons de détails très circonstanciés que sur le commencement et la fin de sa carrière. Vous connaissez cette enfance malheureuse, opprimée, forcément sédentaire. Vous allez voir la contre-partie de cette enfance : une maturité malheureuse toujours, mais enfiévrée et tourmentée d’un besoin de mouvement trop long-temps contenu. Marguerite ne fut jamais heureuse, on peut le dire : elle passa sa vie à désirer le bonheur, et à peine en eut-elle aperçu l’ombre, qu’elle fut saisie par la mort. Cet orgueil indomptable qui la faisait régner en despote sur ses amis dut plier sous le poids des mesquines trivialités de l’existence quotidienne. Le premier coup porté à son orgueil fut la mort de son père, enlevé par le choléra dans l’automne de 1835. Marguerite avait alors vingt-cinq ans, et cette femme jeune et brillante, qui n’avait jamais songé à autre chose qu’à développer son intelligence et à exercer sur tous ceux qui l’approchaient sa puissance morale, vit tout à coup que la vie contient des devoirs moins égoïstes et moins charmans. M. Fuller ne laissait aucune fortune pour subvenir aux besoins d’une assez nombreuse famille ; Marguerite se trouva donc l’unique soutien de sa mère, de ses frères et de ses sœurs ; elle n’envisagea pas froidement sa nouvelle situation, mais elle se montra néanmoins digne d’elle-même ; elle n’abandonna point ses chères occupations intellectuelles, mais