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nous avions conçues. L’Ariane de M. Lescorné révèle chez l’auteur un respect scrupuleux pour la réalité ; mais ce respect ne suffit pas pour un tel sujet. Toutes les fois en effet que l’art touche aux figures mythologiques, il doit tenir compte de l’idéal, et M. Lescorné s’en est tenu à la réalité littérale. Son Ariane, bien posée, jeune, vivante, serait un ouvrage excellent, s’il eût trouvé en lui-même la faculté de l’idéaliser telle qu’elle est, je la loue volontiers comme un morceau d’étude ; mais je ne saurais y voir l’Ariane divinisée par la poésie antique. La Geneviève de M. Maindron mérite à peu près les mêmes éloges et les mêmes reproches. Il y a certainement une simplicité touchante dans la manière dont l’auteur a conçu ce personnage ; mais l’idéal est absent. J’ajouterai que les formes sont plutôt indiquées que modelées d’une façon définitive ; la chevelure n’est pas assez abondante, et ne ruisselle pas sur les épaules en flots assez nombreux. Quant à la biche, ses membres ne sont pas assez accentués ; les épaules et les hanches ont trop de mollesse. Le bas-relief destiné au Conservatoire de musique, où nous voyons Habeneck reçu par Beethoven et Adolphe Nourrit, est une composition ingénieuse, et qui fait honneur à M. Maindron. On pourrait souhaiter sans doute plus de souplesse dans les draperies ; mais, à tout prendre, c’est un bon ouvrage, et l’auteur a tenu compte de toutes les conditions fondamentales du sujet. La Lesbie de M. Lévêque prouve que l’auteur a sérieusement étudié la nature : c’est là sans doute un mérite considérable ; il ne faut pourtant pas en exagérer la portée. La réalité fidèlement traduite ne sera jamais, quoi qu’on fasse, le dernier mot de l’art, et j’aime à croire que M. Lévêque ne l’ignore pas. La courtisane immortalisée par le talent de Catulle éveille chez nous l’idée de la grace et de la volupté ; M. Lévêque paraît l’avoir oublié. Sa Lesbie est jeune et lascive, mais elle n’a rien de voluptueux. Chopin et Gay-Lussac, médaillons de M. Bovy, sont modelés avec finesse ; l’auteur est un des plus habiles graveurs de notre temps, et je n’ai qu’un regret, c’est qu’il ait envoyé au salon des plâtres au lieu d’envoyer des bronzes, car la matière ajoute un prix singulier à l’œuvre la plus précise. Le Jaguar dévorant un lièvre, de M. Barye, peut se comparer, pour l’énergie et la science, aux plus beaux monumens de l’art antique. Je ne trouve rien dans mes souvenirs qui dépasse la perfection de cet ouvrage. Les deux béliers qu’on admire au palais du vice-roi à Palerme, le chien colossal qui fait l’ornement du palais des Offices à Florence, n’ont pas plus de grandeur et de vérité. Pourquoi faut-il que mon admiration pour cet artiste éminent m’oblige à consigner ici une remarque fâcheuse ? On parle du couronnement de l’arc de l’Étoile, et le nom de M. Barye n’est pas même prononcé. De tous les sculpteurs vivans, c’est le seul, à coup sûr, qui puisse couronner dignement l’arc de l’Étoile. Si l’on veut placer sur l’acrotère de ce monument une aigle