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ne songe pas à nier. La couleur des chairs est généralement vraie ; mais du mouvement, mais de la forme, que pouvons-nous dire ? Il est trop évident que l’auteur s’est borné à copier le modèle, et qu’il n’a pas trouvé en lui-même assez de ressources pour l’interpréter, pour l’agrandir. Pour traiter de tels sujets, il ne suffit pas de voir et d’étudier la nature : il faut encore s’être préparé, par la contemplation des chefs-d’œuvre de toutes les écoles, à l’intelligence des scènes bibliques. Or M. Jeanron me paraît avoir négligé cette condition préliminaire. Il a traité Suzanne au bain sans plus de souci qu’un sujet tiré de la vie familière. Qu’est-il arrivé ? Son talent, en présence d’obstacles imprévus, est demeuré impuissant, et la Suzanne au bain, malgré tous les mérites qui la recommandent, ne contente ni la foule ni les connaisseurs. Je ne voudrais pas décourager M. Jeanron ; cependant je ne saurais trop insister sur la nécessité de consulter ses forces avant de s’engager dans la peinture religieuse, car c’est tout simplement la plus difficile de toutes les peintures. Dans cette longue histoire qui s’ouvre par la Genèse et qui se termine sur le Calvaire, il n’y a pas un épisode qui n’exige impérieusement l’emploi constant des plus hautes facultés. Il n’y a moyen de tricher ni sur le costume ni sur la forme ; la forme est souvent nue, et le costume, par son ampleur, par sa souplesse, se rapproche des draperies de l’antiquité païenne. M. Jeanron, qui, dans ses commentaires sur Vasari et dans ses œuvres de genre, a prouvé toute la variété de ses études, s’est pourtant abusé sur l’étendue de ses forces. Il n’a pas compris que Suzanne au bain, pour signifier quelque chose, réclamait une grande élévation de style ; il s’est contenté de transcrire ce qu’il voyait, sans se demander si le modèle choisi par lui réalisait l’idéal biblique. C’est, à mes yeux, une grave méprise. Vainement voudrait-on citer comme argument les compositions bibliques de Rembrandt. Si ces compositions, en effet, réunissent de si nombreux suffrages, ce n’est pas par l’absence d’élévation dans les figures principales, mais bien malgré l’absence d’élévation. Si la magie de la couleur, si, la distribution de la lumière ne dissimulaient pas la trivialité des formes, Rembrandt n’occuperait pas dans l’histoire de la peinture le rang qu’il occupe. Et comme M. Jeanron n’a pas encore réussi à surprendre le secret de Rembrandt, il demeure seul, livré à lui-même, et Suzanne au bain n’est plus qu’une figure vulgaire, copiée habilement, mais dépourvue de charme et de grandeur.

Faut-il parler de M. Gosse ? En vérité, je serais tenté de passer sous silence la Création et la Naissance du Christ. Pourtant je crains, en me taisant, d’être accusé d’admiration, et cette raison me décide à parler, car je ne voudrais pas être compté parmi les panégyristes de M. Gosse. Moïse et Milton n’ont jamais été travestis sous une forme plus bouffonne que dans le premier de ces tableaux. Envisagé sous cet aspect, le