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même il a poussé si loin le nombre et la précision des détails, que ses tableaux semblaient peints à l’aide de la loupe. On se demandait si l’œil réduit à sa puissance naturelle pouvait discerner ce que l’auteur avait copié, et l’on était tenté de croire qu’il transcrivait ce qu’il n’avait pas vu directement, qu’il traduisait avec le pinceau une image obtenue par le daguerréotype. Heureusement un Homme choisissant une épée et les Bravi sont venus imposer silence à tous nos doutes. Si dans le passé M. Meissonier a eu recours à des procédés que l’art sérieux n’avoue pas, la méthode qu’il suit aujourd’hui ne mérite aucun reproche. Il peint franchement ce qu’il voit, et son regard est pénétrant. Content de son domaine, si étroit qu’il paraisse, il ne cherche pas à l’agrandir, et c’est, là sans doute le secret de sa renommée. Tandis que tant d’autres se consument en efforts inutiles et interrogent l’histoire ou la fantaisie, il parcourt d’un pas ferme la voie modeste qu’il s’est frayée. Au lieu de traiter en peintre de genre des sujets d’une nature épique, il a traité dans un style sévère des sujets familiers. Sans inventer, il a trouvé moyen de se faire une place à part, et cette place est assez belle pour exciter l’envie. À moins de renoncer à la raison, il n’est certes pas permis de lui assigner le premier rang parmi les peintres vivans de l’école française ; mais il n’y a que justice à le compter parmi les plus habiles. Ce qui me frappe surtout dans ses compositions, c’est la netteté de l’exécution en parfaite harmonie avec la netteté de la pensée. Il est impossible de se méprendre sur la nature du sentiment qu’il a voulu exprimer. Or c’est là un don précieux. Parmi les esprits qui se recommandent par la fécondité, par la hardiesse, combien y en a-t-il qui réussissent à traduire complètement leur intention ? Il serait trop facile de les compter. M. Meissonier, par un heureux privilège, exprime toujours ce qu’il a conçu avec tant d’évidence, que le spectateur n’est jamais embarrassé. Peut-être serait-il capable d’aborder des sujets plus élevés, d’un caractère complexe : c’est à lui seul qu’il appartient de trancher cette question délicate. Quant à moi, je suis très loin de blâmer sa prudence ; il vaut mieux tenter une tâche au-dessous de ses forces que d’engager une lutte inutile. Dans le genre qu’il a choisi, M. Meissonier est sûr de demeurer excellent ; qui sait ce qu’il pourrait faire dans un ordre d’idées plus élevé ? Je voudrais que son exemple amenât les peintres de notre temps à faire un examen de conscience. S’ils consentaient à ne rien tenter au-delà de leurs forces, ils réussiraient bientôt à sortir de l’obscurité, tandis qu’en plaçant trop haut le but de leur ambition, ils épaississent les ténèbres autour de leur nom.

La Comédie humaine de M. Hamon est une charmante fantaisie, et je ne comprends pas que des esprits chagrins se soient évertués à prouver que cette composition n’est pas intelligible. Je ne veux pas essayer de justifier toutes les parties de ce tableau. Il y a sans doute quelques