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de la figure sont rendues avec le même soin, le même bonheur. Il est permis d’affirmer que M. Meissonier a pleinement réalisé sa volonté, et tous les artistes qui méditent long-temps avant de produire comprendront toute la portée d’une telle affirmation. Les deux Bravi, bien que traités avec une grande énergie, me plaisent moins que l’œuvre précédente : l’exécution proprement dite ne répond pas à l’excellence des lignes. Les mouvemens sont très vrais, mais il me semble que ces deux bandits ne sont pas peints avec la même fermeté que l’Homme choisissant une épée, et cependant, malgré ces réserves, les Bravi sont un délicieux tableau. Quant au Jeune homme qui étudie, j’avouerai franchement que je ne puis m’associer à l’admiration générale qu’il excite. Je ne conteste pas la finesse de l’exécution, ce serait contester l’évidence ; mais je regrette que M. Meissonier ait fait de cette figure, d’ailleurs si expressive, quelque chose qui rappelle aux esprits les plus bienveillans la peinture sur porcelaine. Les deux toiles dont je viens de parler peuvent se comparer aux meilleurs ouvrages de Terburg : un Jeune homme qui étudie est loin de mériter un tel honneur. M. Meissonier a trop de savoir et de talent pour ne pas comprendre l’intervalle qui sépare ce dernier tableau des deux premiers. Que les badauds admirent et célèbrent à l’envi comme le dernier mot de l’art une figure peinte sur une toile grande comme l’ongle, je ne m’en étonne pas, et je n’irai pas troubler leur joie ; mais les hommes habitués à contempler les monumens les plus purs de l’art antique et de l’art moderne ne tiennent aucun compte de ces enfantillages. Il ne s’agit pas en effet, pour estimer un tableau, de mesurer la difficulté vaincue, mais bien l’effet obtenu. Or, il est incontestable qu’un Homme choisissant une épée et les Bravi agissent sur le spectateur d’une façon plus puissante qu’un Jeune homme qui étudie. Pourquoi ? C’est que les deux premières compositions sont traitées largement dans le style des maîtres vraiment dignes de ce nom, tandis que la dernière est traitée avec une finesse qui touche à la mignardise. La vérité de la pantomime, que M. Meissonier ne méconnaît jamais, rend plus saillant encore le défaut que je signale. On se demande comment un personnage si bien conçu a pu être peint dans un style si peu élevé.

Il y a dans le succès obtenu par l’auteur de ces charmantes compositions une leçon qui, je l’espère, ne sera pas perdue pour ses contemporains. Si la renommée de M. Meissonier repose en effet sur une base solide, ce n’est pas seulement parce qu’il apporte dans l’exécution de tous ses ouvrages un soin scrupuleux, c’est aussi et surtout parce qu’il a mesuré sa volonté à sa puissance. Il n’a rêvé, il n’a conçu, il n’a tenté que ce qui s’accordait avec la nature de ses facultés. C’est une preuve de sagacité que je ne saurais trop louer. Observateur attentif, il a débuté par des chefs-d’œuvre d’adresse et de patience. Parfois