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Van-Dyck ou d’un Rubens, si M. Gallait n’était pas lui-même l’héritier légitime, l’héritier authentique de ces deux maîtres. Et voyez pourtant à quelles chances, à quels retours est soumise la gloire humaine ! Le tableau de M. Gallait réunit plus de curieux que d’admirateurs : il y a certainement de l’habileté dans l’exécution de cet ouvrage, mais cette habileté, qui frappe tous les yeux, est purement matérielle. L’auteur a poussé très loin l’imitation de la pâleur cadavérique, de la rigidité des mains glacées par la mort, des étoffes, des armures, et c’est là sans doute un talent dont nous devons lui tenir compte. Quant à la partie poétique du sujet, il ne s’en est pas inquiété un seul instant. Il n’y a pas une tête qui rappelle par l’élévation du style la grandeur de la donnée. La mort héroïque des comtes d’Egmont et de Horn demandait un autre pinceau que celui de M. Gallait. Espagnols et Flamands sont traités avec le même soin, et j’ajouterai avec la même vulgarité. Qu’un peintre, choisissant pour thème un pan de mur et des poules, une table couverte de légumes et un escabeau boiteux, pousse l’imitation jusqu’à ses dernières limites, et se contente de l’imitation, je le conçois très bien et je ne songe pas à lui reprocher la modestie de son ambition ; mais, lorsqu’il choisit un sujet héroïque, il faut qu’il se résigne à tenter le style héroïque. Si, après avoir consulté ses forces, il reconnaît son aptitude exclusive pour l’imitation, il n’a rien de mieux à faire que de choisir un autre sujet. Or je crois pouvoir affirmer que M. Gallait ne s’élèvera jamais au-dessus de l’imitation littérale. Le style de ses ouvrages n’aura jamais rien d’héroïque : il aura beau s’exciter, il n’arrivera pas à changer sa nature. Les têtes de son tableau ne rappellent ni la manière de Rubens ni la manière de Van-Dyck ; elles réveillent tout au plus le souvenir de Jordaens, et je n’ai pas besoin d’expliquer pourquoi la manière de Jordaens ne convient pas au sujet choisi par M. Gallait : tous ceux qui connaissent les œuvres de ce maître me comprendront à demi-mot ; quant à ceux qui ne les connaissent pas, mes paroles ne leur apprendraient rien.

J’ai entendu comparer M. Gallait à M. Paul Delaroche, et les réalistes n’hésitent pas à préférer le peintre belge au peintre français. Je ne saurais partager leur opinion. Bien que M. Paul Delaroche ne se recommande pas précisément par une grande richesse d’imagination, il faut reconnaître pourtant qu’il se préoccupe de l’idéal : il ne se contente pas de copier servilement ce qu’il voit ; il s’efforce de l’agrandir en l’interprétant. S’il lui arrive rarement de réussir dans cette difficile entreprise, il faut du moins lui savoir gré de ses efforts. Et si nous comparons M. Delaroche et M. Gallait dans le champ de l’imagination pure, nous sommes amené à préférer M. Delaroche, car le peintre français apporte dans la transcription du modèle une élégance que le peintre belge ne connaît pas M. Gallait prend trop souvent la vulgarité