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possédait l’année dernière pour l’expression, je pourrais dire pour la transcription des détails ; mais il a gardé en même temps toute son inaptitude pour la composition, et cette inaptitude est tellement évidente, que ses toiles sont tout bonnement des morceaux copiés et ne ressemblent pas à des tableaux. Ce qu’on disait avec justice d’un Enterrement à Ornans et des Casseurs de cailloux, on peut le répéter à propos des Demoiselles de village. C’est en effet le même mépris, le même dédain pour tout ce qui ressemble à la beauté, à l’élégance des formes. Ces jeunes filles qui font l’aumône sont laides à faire peur. On dirait qu’elles ont résolu de lutter ensemble de gaucherie et de vulgarité. Difformité du visage, violation de l’harmonie, profusion de tons criards, M. Courbet n’a rien négligé pour offenser, pour scandaliser le goût ; s’il a voulu, par cette peinture brutale, attirer l’attention, je l’avertis qu’il n’a réussi qu’à moitié. Il est très vrai que les promeneurs, les oisifs s’arrêtent quelques instans devant les Demoiselles de village ; mais les hommes habitués à contempler des œuvres sérieusement conçues, exécutées selon les lois du goût, détournent la tête avec un étonnement mêlé de dépit. Si M. Courbet veut signifier quelque chose dans l’histoire de l’école française, il faut absolument qu’il renonce au plus vite à cette peinture plus que rustique. Ce n’est pas en donnant aux jeunes filles des nez bourgeonnés, tels qu’on en voit au cabaret, qu’il réussira à fonder sa renommée. Ses amis pourront l’applaudir et lui faire accroire pendant quelques semaines qu’il a pleinement réussi. Quant aux hommes de bon sens, ils laisseront au temps le soin de réduire le succès à sa juste valeur. Si par malheur les éloges prodigués à cette œuvre étrange devaient se confirmer, si l’engouement de quelques jeunes esprits se transformait en popularité, il faudrait tout simplement désespérer du goût et de la raison ; car, il est impossible de s’y méprendre, les Demoiselles de village comme les Casseurs de cailloux n’ont rien à démêler avec la peinture prise dans son acception la plus élevée. C’est une habileté tout au plus suffisante pour l’exécution d’une enseigne, et, si le mot paraît dur, je ne crois pourtant pas manquer à la vérité. La seule chose que je puisse louer dans les Demoiselles de village, c’est la manière dont les terrains sont traités. Il n’y a certainement aucune comparaison à établir entre les terrains et les figures. Encore faut-il restreindre l’éloge aux premiers plans, car les plans plus éloignés manquent de perspective, et cela est si vrai que les vaches sont parfaitement inintelligibles. Si l’on ne considère que leurs proportions, elles doivent être loin du spectateur ; si l’on s’attache au terrain qu’elles foulent, elles doivent être voisines de nos yeux, et alors leurs proportions deviennent une véritable énigme, car elles ont juste la grandeur des vaches en bois qu’on donne aux enfans. Un seul pli de terrain eût suffi pour motiver les proportions de ces deux figures ; M. Courbet,