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le despotisme rouge, et pour cela Borrero avait commencé par proclamer l’indépendance des provinces du sud. D’assez nombreuses guerrillas sont parvenues à tenir la campagne pendant quelques mois ; mais cette insurrection a été définitivement vaincue au mois d’août. Les principaux chefs du parti conservateur sont aujourd’hui hors du pays ; quelques-uns l’avaient quitté depuis long-temps. Le général Mosquera, président avant 1848, est aux États-Unis. Deux des diplomates les plus distingués de la Nouvelle-Grenade, M. Francisco Martin et M. Mosquera, frère de l’ancien président, étaient en Europe depuis 1849. M. Julio Arboleda a été jeté en exil par la dernière levée de boucliers. M. Mariano Ospina a été fait prisonnier. La récente victoire du général Lopez, au reste, est bien moins faite pour lui profiter à lui-même qu’à son successeur probable au pouvoir, le général Jose-Maria Obando, candidat aux prochaines élections présidentielles. Or le général Obando est violemment soupçonné de complicité dans l’assassinat dont le général Sucre a été victime il y a vingt ans ; il a été le chef de l’insurrection de 1840 ; il est en ce moment l’élu, le héros, l’espoir des sociétés démocratiques, qui attendent de lui la réalisation de toutes les promesses humanitaires. Que fera le général Obando, s’il est nommé ? Il ne pourra guère faire autre chose que ce qui se pratique déjà à la Nouvelle-Grenade. Il prolongera la comédie socialiste jusqu’à ce qu’un souffle vienne abattre décoration et acteurs ; il présidera ce club de fantômes qui s’appellent citoyens, qui se poursuivent des mots de liberté, égalité, fraternité, et chuchotent des discours sur la destinée sociale, en attendant que la cognée de l’Indien vienne frapper à leur porte, ou qu’une conquête d’un autre genre vienne les préserver de la vie sauvage.

Assurément., c’est un spectacle lamentable que celui d’un coin de terre livré à ces folies. Le suprême non-sens du socialisme, c’est qu’il voile de noms ridicules et d’agitations factices les véritables problèmes qui se débattent au sein du Nouveau-Monde, ou qui le menacent du dehors. C’est la continuation plus criante de cet artifice qui faisait dire à un voyageur : « En Amérique, les noms sont civilisés, les choses sont barbares. » Le fanatisme de l’imitation et de l’abstraction cause depuis un demi-siècle ce perpétuel mirage qui trompe sur la réalité par une succession d’apparences dérisoires. Les changemens de constitutions, les révolutions politiques, les législations socialistes, tout en étant les symptômes du mal qui travaille l’Amérique du Sud, ne le guérissent pas ; ils l’aggravent au contraire en le méconnaissant. Ce mal, c’est le défaut d’éducation morale, de caractère moral chez ces races qui flottent sans cesse entre les suggestions sauvages et les excès intellectuels. Le mal encore, c’est l’inaptitude pratique en face d’un monde à conquérir et d’élémens inouis de richesse, c’est l’absence de population