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réelles se cachent sous ces effroyables peintures ? Celle de l’archevêque de Bogota, M. Mosquera, l’un des plus dignes prélats de l’Amérique du Sud, qui a eu le tort de ne point tomber en admiration devant le socialisme grenadin, et celle d’un des hommes politiques les plus distingués du pays, M. Mariano Ospina. Malipieri, Rodin, bribes de l’érudition romantique et sociale, — tapage des clubs, défroques humanitaires, constitutions démagogiques, gouvernemens de faction, liberté illimitée de la fureur humaine, — voilà quel habile et cruel usage ces natures dévorées d’anarchie font des armes que nous leur forgeons ! Cela nous rappelle ces autres enfans terribles et farouches, les Irlandais, qui, en 1848, s’exerçaient à l’insurrection « à la mode française, » et s’instruisaient dans l’art de jeter du vitriol, sur les habits rouges, et de semer du verre cassé sous les pas de la cavalerie du lord-lieutenant. Quoi encore ! pour compléter la reproduction de toutes les scènes et de tous les incidens révolutionnaires qui ont agité l’Europe, l’Amérique du Sud n’a-t-elle point failli avoir sa guerre du Sonderbund entre la Nouvelle-Grenade et l’Équateur ? Le radicalisme suisse entre ici en rivalité ou en communauté d’influence avec le socialisme français.

Pensez-vous que de telles tentatives, si artificielles qu’elles soient, ne portent point leurs fruits et n’aient point leur retentissement dans la vie réelle ? La vérité est que la Nouvelle-Grenade, dans ces dernières années, s’est trouvée livrée à une sorte d’anarchie chronique, de désordre pratique et normal. Le socialisme s’est promené dans les provinces sous la forme infiniment peu métaphysique du pillage et de la dévastation matérielle. Dans le sud notamment, dans la province de Cali, les barrières des propriétés étaient brisées ; des émissaires allaient dans les haciendas exciter les esclaves à la révolte et au meurtre de leurs maîtres ; les femmes étaient exposées aux insultes dans les rues et au viol dans leurs maisons. L’autorité publique dormait, ou restait spectatrice de ces crimes, dont les auteurs étaient ses cliens, les séides des sociétés.démocratiques, armés pour la défense du pouvoir. À Bogota même, sous les yeux du gouvernement, tous les vices, le libertinage, le jeu, la paresse, se sont développés en peu de temps dans des proportions sensibles ; les vols et les attaques individuelles se sont multipliés au point d’engendrer une insécurité universelle. Il y a une inépuisable série de faits de ce genre rangés dans le pays sous le nom caractéristique de scènes de l’époque. L’instinct public s’en empare et s’en émeut ; l’anxiété s’accroît par la propagation de ces bruits ; la passion de parti y ajoute ses irritans commentaires. « Le rougisme progresse, disent les conservateurs ; — c’est le dernier effort du gothisme vaincu, s’écrie plaisamment le gouvernement. — Les voleurs sont des libéraux, reprennent les modérés ; — les voleurs ne peuvent être que des goths et des rétrogrades, répondent les socialistes. » En réalité, les voleurs ne sont ni des