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du nom de fray Francisco. Chef absolu de cette petite colonie, fray Francisco n’avait rien par lui-même ; il vivait d’aumônes, conservait la simplicité d’un enfant et avait la vénération universelle de ces pauvres populations, qui quittaient le désert pour venir se grouper autour de lui et se soumettre à la règle de la prière et du travail. Veut-on un contraste frappant ? Suivez encore M. de Castelnau dans un village non loin de Boa-Vista, à la Carolina. Là règne l’autorité administrative dans la personne d’un jeune officier qui s’ennuie et qui cherche à passer son temps. Les voyageurs arrivent au milieu du jour, et tout est plongé dans le sommeil, selon l’habitude, parce que la nuit se passe dans les plus monstrueuses orgies que préside le jeune commandant lui-même, le sabre à la main, excitant les danses lascives, provoquant au plaisir les brunes filles des tropiques et corrompant toute une population par l’ivresse des voluptés grossières. Le degré de moralité de cet établissement se mesure par un chiffre bien simple : sur huit cents habitans environ, il y a deux femmes mariées. La Carolina danse et dort pendant que les sauvages non soumis l’étreignent de toutes parts et que les femmes ne peuvent pas même aller à la fontaine la plus voisine sans une escorte militaire. Tel est le double et saisissant résultat de ces deux genres si différens d’action. L’influence religieuse est si naturellement désignée comme la seule propre à cette œuvre civilisatrice, que les autorités de la Nouvelle-Grenade, un peu échappées aux fumées socialistes de Bogota et parlant dans les provinces, demandent simplement des missionnaires pour disputer le sol et les ames à la vie sauvage. La réalité se révèle ici ; les conditions pratiques des choses se font jour, et c’est sur ce fond même réel et pratique que se détachent plus vivement encore dans leur artificielle et folle étrangeté tous ces caprices de religions démocratiques et de socialisme transcendant dont le gouvernement néo-grenadin se fait le triste agent, sous la pression et avec le secours des clubs et des journaux.

Quand nous disons que ces populations se jettent avec une fureur d’enfans sur les plus périlleux moyens d’action du vieux monde,-où ce caractère de puérile et violente imitation se reflète-t-il mieux, en effet, que dans les clubs et dans les journaux ? Les clubs sont absolument libres à la Nouvelle-Grenade. Chaque jour, la Gazette officielle enregistre la création de sociétés démocratiques qui enveloppent le pays dans un formidable réseau. À Bogota, outre la société démocratique, il y a une autre association sous le nom d’école républicaine, club modèle, agence supérieure de la propagande démagogique. Docteurs en droit révolutionnaire, prêtres émancipés, artisans enlevés à leur travail, orateurs vagabonds, sont les héros de ces réunions. Le gouvernement lui-même sanctionne leur autorité par sa présence ; il va faire profession authentique de socialisme. Le président Lopez reçoit des