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redoutable appelée au sac de la société organisée, offerte à ses sauvages instincts. Dans le nord, les peones déchaînés pillaient et dévastaient les mines de Chañarcillo. L’insurrection s’établissait à la Serena. Nous avons sous les yeux les bulletins de cette révolte : ils sont des plus curieux et déguisent mal un des phénomènes les plus universels dans l’Amérique du Sud. Il y a en effet dans ces états sud-américains deux courans visibles qui ne se contrarient pas toujours ; il y a la tendance purement révolutionnaire à l’européenne et l’action permanente des ambitions militaires. C’est ce que les conservateurs néo-grenadins appellent aujourd’hui dans leur langage le militarisme et le rougisme. Chacun de ces élémens pris à part suffirait au bouleversement total de ces républiques. Ils se réunissent et se donnent la main dans le récent mouvement du Chili. Si le général Cruz eût réussi, son pouvoir eût été forcément un mélange de despotisme militaire et de radicalisme démagogique, -l’idéal des gouvernemens, comme on voit ! C’est ainsi que la prospérité naissante du Chili s’est trouvée momentanément paralysée. Que devenait cependant le jeune hiérophante du socialisme chilien, M. Bilbao, à qui appartenait naturellement la spécialité des proclamations dithyrambiques dans ce mouvement ? Réfugié au Pérou, il continuait à démontrer que « la société actuelle est un enfer présidé par une collection diabolique de joueurs qui se dévorent les uns les autres. » Il gourmandait ces pauvres gouvernemens assez mal avisés pour empêcher l’Amérique du Sud tout entière « de se faire une comme Dieu et de tout niveler par le fameux principe de la solidarité, — à l’exemple de la Nouvelle-Grenade qui tient l’avant-garde, de l’Équateur qui la suit, de la tempête qui se condense sur la Plata et qui gagnera jusqu’aux Amazones, de l’Arauco qui allume ses volcans et des fils de Lautaro qui escaladent les murailles du peluconisme ! » il faut bien le dire en humble prose après ces merveilles pindariques : le Pérou n’a point goûté du tout l’unité et la solidarité universelle, et il a même prié M. Bilbao d’aller exercer ailleurs son industrie. L’épée fidèle du général Bulnes, au Chili, a fait taire les volcans de l’Arauco, et les murailles du peluconisme sont debout. Ce que la tempête de la Plata couve dans ses flancs, l’avenir seul peut le dire.

Reste, il est vrai, la Nouvelle-Grenade ; mais là, en compensation, fleurit merveilleusement la démocratie nouvelle selon le rêve de M. Bilbao. Le socialisme règne et gouverne ; il fait des lois et des décrets ; il a sa personnification inattendue et son pontife dans le chef même du pouvoir, — le général Hilario Lopez. Ce n’est pas que le général Lopez soit bien fixé sur le dogme régénérateur du progrès humanitaire ; c’est un peu un socialiste sans le savoir. Soldat de l’indépendance, employé dans diverses missions intérieures et extérieures où sa capacité a peu brillé, assure-t-on, c’est un de ces types de libéralisme creux éclos tout