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continent ? Ce sont des questions dont la solution ressort invinciblement de ce bizarre épisode même, des livres qui le racontent, de ce tourbillon de publications sans durée qui en sont le perpétuel commentaire, et plus encore de l’observation exacte clés élémens intimes qui s’agitent au sein de cette partie du Nouveau-Monde comme le ferment inconnu de sa turbulente histoire : questions bien au-dessus des intérêts vulgaires et artificiels de partis, et que l’auteur du fragment que nous citions, M. Félix Frias, met en un saisissant relief dans une série de Lettres adressées de Paris même à un journal de Valparaiso, — le Mercurio. Les lettres de M. Frias sont le résumé et la condamnation des tentatives socialistes de l’Amérique du Sud. Un des mérites de ces pages souvent éloquentes écrites parmi nous, parfois sévères et parfois aussi spirituellement justes en ce qui concerne la France, c’est de s’inspirer de la solidarité qui lie les républiques sud-américaines dans la laborieuse expérience de tous les moyens de civilisation.

Tel est, en effet, le développement moral des contrées diverses de ce monde hispano-américain, constituées aujourd’hui en nationalités distinctes, que tout est commun entre elles. On peut, avec quelques traits empruntés à l’Europe, essayer de leur créer une physionomie différente, dire, par exemple, que le Chili est l’Angleterre du Nouveau-Monde, tandis que le Pérou en serait l’Italie, et que la France serait représentée par cette vive, intelligente et turbulente population argentine. Au fond, langue, traditions, besoins actuels, vices, problèmes à résoudre, tout est identique dans ces états, qu’ils soient paisibles comme le Pérou aujourd’hui, ou en ébullition comme le Chili et la Nouvelle-Grenade ; le mélange des races et des classes entre elles est le même, comme la proportion de la richesse, comme les conditions naturelles ; la Colombie a la vie pastorale dans ses llanos, comme Buenos-Ayres dans ses pampas. — Si le socialisme est un progrès, ainsi que le proclament ses adeptes, est-ce un progrès découlant naturellement de cette situation commune des républiques du Nouveau-Monde ? S’il est une maladie, comme nous le pensons, est-ce une maladie inhérente à cet état ?

À le considérer comme philosophie, le socialisme n’est guère autre chose que le fruit d’une civilisation extrême et corrompue ; c’est le matérialisme savant et ardent propre à une société aux rangs pressés, altérée de bien-être et de jouissances, dévorée d’antagonismes redoutables et atteinte d’une sorte d’engorgement et de plénitude. Rien de semblable dans ces sociétés américaines, groupes informes et sans cohésion répandus sur un sol sans limites. La vie européenne se reflète sans doute dans les villes avec ses caractères principaux ; mais cette influence n’est elle-même qu’un des élémens de cette sociabilité mal équilibrée et pleine de contrastes. Franchissez les murs de la cité,