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de tous les pays la langue et le symbole de la pédante démagogie de notre siècle. Les nations, au reste, reconnaissent et subissent cet empire dans ce qu’il a de plus sérieux comme dans ce qu’il a de plus frivole ; elles s’y prêtent comme à une loi de la civilisation contemporaine. Nos caprices retentissent aux pôles, nos systèmes sont avidement recueillis et étourdiment popularisés par les déclamateurs des deux mondes, — et Dieu sait si caprices et systèmes prennent parfois au loin de singulières tournures ! Nos révolutions et nos modes sont calquées et répétées à quatre mille lieues ; la reproduction de nos révolutions n’est-elle point encore elle-même une mode, « la mode française, » comme on l’a souvent nommée ? « Le même empressement que nous déployons à nous approprier une danse en vogue à Paris, nous le mettons à singer en tout la France, » écrivait récemment un Hispano-Américain. Seulement il se peut bien, en vérité, — cela n’arrive-t-il même pas fréquemment ? — que nos modes soient fort passées chez nous, quand elles continuent de régner chez nos naïfs imitateurs, comme aussi, pour n’assumer que la plus stricte part de responsabilité, il faudrait ajouter que ce n’est plus la France seule aujourd’hui qui a le privilège de ces tentatives de propagande universelle ; elle y réussit toujours mieux que d’autres, et les regards du monde se tournent plus volontiers vers elle : voilà tout.

L’essence de ce mouvement cosmopolite, à travers ses excentricités et ses frivolités, est des plus étranges. Il ne tend à rien moins qu’à supprimer toute réalité, à suppléer aux conditions naturelles dans lesquelles se développe toute nationalité, toute agrégation sociale en voie de se former, par des conditions d’emprunt et des combinaisons factices. C’est l’art singulier d’assimiler les peuples à des automates humains vivant d’un même fonds politique, moral et intellectuel, s’habillant, pensant et se gouvernant sur un modèle unique. — Mais tout est contraste dans l’existence de ces peuples ; le degré de civilisation où chacun d’eux est parvenu n’est point le même ; les traditions diffèrent autant que les nécessités actuelles, les caractères autant que les aptitudes. — Qu’importe ? La merveille est de porter la vérité démocratique dans le désert, de doter l’Indien du droit électoral et de le discipliner dans les manifestations patriotiques à l’européenne. Supposez la réalisation entière de cette politique, l’idéal souverain, ce sera sans doute quelque congrès de la paix siégeant à Paris ou à Francfort, à moins que ce ne soit à Constantinople, comme le veulent les fouriéristes, et étendant les ramifications de son empire aux îles inconnues et aux continens dépeuplés pour y faire germer l’idée. Tous les peuples devront marcher du même pas que les novateurs dans cette voie et se nourrir de la même substance.

Un des plus curieux spécimens de cette assimilation universelle de