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la conversation veut s’élever et qu’elle roule sur des sujets importans, la douce, impressionnable, capricieuse nature de la femme s’y révèle par quelque naïve absurdité, comme, par exemple, dans cette soirée où cette question étant agitée : Qu’est-ce que la vie ? — une certaine miss C… fait cette absurde,.charmante et très féminine réponse : La vie, c’est rire et pleurer, selon notre organisation.

Mais l’influence véritable de Marguerite n’était pas cette influence qu’elle devait simplement à sa conversation et au magnétisme temporaire qu’elle exerçait sur toutes les sociétés où elle se trouvait un moment, influence comparable à celle du grand acteur ou du grand chanteur, et qui disparut avec elle : c’est l’influence qu’elle a exercée sur l’école transcendentaliste américaine ; celle-là a porté ses fruits, et en porte toujours de nouveaux ; , elle lui a survécu, c’est là son titre de gloire. Qu’est-ce donc que l’école transcendentaliste ? Lorsque les vieilles doctrines américaines sous l’influence desquelles avait été fondée la république des États-Unis furent tombées en désuétude, lorsque ce mélange utilitaire, pratique, des doctrines de Loche et de Voltaire combinées avec l’esprit protestant, mélange dont Franklin a été le représentant le plus remarquable, eut perdu tous ses interprètes, tous les esprits jeunes, instruits et doués d’élévation ne trouvèrent plus aucune doctrine traditionnelle a laquelle ils pussent se rattacher. Partout autour d’eux régnait la timidité propre aux doctrines vieillies, même à celles qui à leur début s’étaient montrées les plus hardies et les plus téméraires. Deux sectes seules avaient encore cet esprit d’effusion et cette audace qui plaît à la jeunesse : les sectes des unitaires et des swedenborgiens. Instinctivement, ce furent à celles-là qu’ils se rattachèrent. L’unitarisme soumettant à l’examen tous les dogmes et n’exceptant de ce contrôle que la divinité de Jésus-Christ, ils trouvèrent en lui cette liberté spirituelle si désirée de la jeunesse impatiente de toute autorité, et, dans le swedenborgianisme, ils trouvèrent tous les horizons merveilleux propres à développer la rêverie religieuse. D’ailleurs, à défaut d’idées, n’avaient-ils pas des instincts ? Pourquoi ces instincts, qui étaient en eux, ne leur tiendraient-ils pas lieu de guide, et pourquoi leur désir du bien idéal ne leur servirait-il pas de critérium ? C’est le parti auquel ils s’arrêtèrent ; en s’interrogeant, il se trouva que leurs instincts étaient absolument les mêmes que ceux de leurs frères et de leurs parens ; ils ne différaient que par la tendance et le degré de puissance et d’impulsion. C’était l’instinct américain qui était en eux, instinct d’énergie et de confiance absolue qui leur criait à tous : Ose, sois, confie-toi en toi-même, en sorte que, malgré leur répugnance pour le spectacle qui les entourait et les mœurs grossières qui s’étalaient devant eux, ils revenaient encore à l’esprit national de leurs pères, et se trouvaient ramenés vers la tradition au moment