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fort jeune, à faire voir les premiers charmes de cet angélique visage qui depuis a eu tant d’éclat. » Pour juger combien cette légère esquisse est fidèle, il faut aller voir à Versailles un portrait d’un vieux et excellent maître nommé Ducayer, représentant Mlle de Bourbon à l’âge de quinze ans, entre son père et sa mère, en 1634 La voilà dans toute la fraîcheur de sa beauté virginale, mais déjà en parure de cour, et comme si elle allait à ce bal qu’elle avait tant redouté et qui changea son ame et sa vie.

Depuis, Mlle de Bourbon visita un peu moins souvent ses amies du couvent des Carmélites sans les oublier ni les abandonner. Jusque-là elle n’avait eu qu’un sentiment ; dès-lors elle en eut deux : l’amour de Dieu et des carmélites avec le goût des succès du monde ; elle conserva la même piété, mais cette piété fut désormais combattue par le désir de plaire, le besoin d’aimer et d’être aimée, et la passion d’être applaudie à son tour sur le théâtre où elle voyait briller tant de personnes qui n’avaient ni sa naissance, ni son esprit, ni sa figure. Ce combat dura longtemps. Nous avons un assez bon nombre de lettres adressées par elle aux Carmélites, et sur le ton de la plus vive piété, dans les momens même où elle se laissait le plus emporter par ses passions. N’accusez ni sa sincérité, ni le peu d’utilité des meilleurs principes. On est très sincère en exprimant des sentimens qu’on a bien réellement dans le cœur, mais qu’on n’a pas la force de suivre ; et ces nobles sentimens ont encore ce précieux avantage, qu’ils mêlent à nos fautes un reste d’honnêteté qui nous empêche de tomber au plus profond de l’abîme, qu’ils y joignent les bienfaisans remords qui entretiennent la vie morale, et qu’ils finissent presque toujours par triompher et ramener au bien après des égaremens passagers. Laissons-les sommeiller quelque temps dans l’aine de Mme de Longueville. Ils ne s’y éteindront jamais. Ils se réveilleront un jour, et nous reviendrons au couvent des Carmélites de la rue Saint-Jacques ; mais il faut le quitter pendant quelques années pour suivre Mlle de Bourbon à la cour, à Chantilly, à Ruel, à Liancourt, parmi les belles compagnies, les agréables promenades, les conversations galantes, et d’abord rue Saint-Thomas-du-Louvre, à l’hôtel de Rambouillet.


V. COUSIN.