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« Son premier mouvement, dit Villefore[1], fut d’aller dire cette nouvelle à ses bonnes amies les carmélites, qui en furent très affligées et très embarrassées à lui répondre, car elle exigeait leur avis pour savoir comment elle se conduiroit dans une conjoncture si difficile. On tint dans les formes un conseil où présidèrent en habits de religieuses deux excellentes vertus, la Pénitence et la Prudence, et il y fut résolu que Mlle de Bourbon, avant que d’aller à l’assaut, s’armeroit sous ses habillements d’une petite cuirasse vulgairement appelée un cilice, et qu’ensuite elle se prêteroit de bonne foi à toutes les parures qu’on lui destinoit. Dès que l’on eut son agrément, on étudia tout ce qui pouvoit le plus animer ses graces naturelles, et l’on n’oublia rien pour orner une beauté plus brillante par son propre éclat que par toutes les pierreries dont elle fut chargée. Les carmélites lui avoient fort recommandé de se tenir sur ses gardes, mais sa confiance en elle-même la séduisit. À son entrée dans le bal et tant qu’elle y demeura, toute l’assemblée n’eut plus que des yeux pour elle. Les admirateurs s’attroupèrent et lui prodiguèrent à l’envi ces louanges déliées, faciles à s’insinuer dans un amour-propre qui ne fait que de naître et qui ne se défie de rien… Au sortir du bal, elle sentit son cœur agité de mouvemens inconnus : ce ne fut plus la même personne. »

Il ne serait pas sans intérêt de savoir quand eut lieu et quel était ce bal où Mlle de Bourbon fut traînée en victime, où elle parut en conquérante, et d’où elle sortit enivrée ; mais Villefore ne nous apprend rien à cet égard. On en est donc réduit aux conjectures. En voici une que nous donnons pour ce qu’elle peut valoir. On lit dans les mémoires manuscrits d’André d’Ormesson[2] que, le 18 février 1635, il fut donné au Louvre, sous le roi Louis XIII, un grand ballet où figurèrent toutes les beautés du jour, et parmi elles d’Ormesson cite Mlle de Bourbon. Remarquez que c’est le premier bal de cour où le nom de Mlle de Bourbon se rencontre, au moins dans les mémoires d’André d’Ormesson. D’autre part, on n’a pu faire à la jeune fille cette grande violence dont le souvenir nous a été conservé par Villefore que dans une occasion qui en valût la peine et pour un bal du roi. Si cette conjecture était admise, nous aurions la date précise de la conversion de Mlle de Bourbon à la vie mondaine, comme nous avons la date de sa conversion à la vie religieuse : celle-ci est certainement du 2 août 1654[3], quand elle avait trente-cinq ans ; la première serait du 18 février 1635. Mlle de Bourbon avait alors seize ans.

C’est à peu près à cet âge de Mme de Longueville que se rapportent ces mots de Mme de Motteville : « Mlle de Bourbon[4] commençoit, quoique

  1. P. 14.
  2. Fol. 332, verso. Nous devons cette indication à M. Cheruel, professeur d’histoire à l’École normale.
  3. Voyez l’article de la Revue des Deux Mondes sur Mme de Longueville, livraison du 1er août 1851, p. 435.
  4. Tome Ier, p. 44.