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trompe quand il s’imagine que l’instinct seul de la perfection chrétienne la conduisit aux Carmélites. Cet instinct eut pour aliment et pour soutien l’expérience de la vanité des affections humaines, et il éclata et jeta subitement Mlle d’Épernon aux Carmélites à la suite d’une, perte cruelle, la mort d’une personne à laquelle elle avait donné son cœur. Cette mort, avec un grand mécompte qui avait précédé, la décida à quitter le monde, et ni la longue résistance de sa famille, ni même l’espérance d’une couronne, ne purent faire fléchir sa résolution.

Pour abréger, nous nous bornerons à recueillir quelques témoignages. Celui de la véridique Mme de Motteville est décisif.

« Le chevalier de Fiesque fut tué (au siége de Mardyck, en 1646), qui, à ce que ses amis disoient, avoit de l’esprit et de la valeur. Il fut regretté d’une fille de grande naissance, qui l’honoroit d’une tendre et honnête amitié. Je n’en sais rien de particulier ; mais, selon l’opinion générale, elle étoit fondée sur la piété et la vertu, et par conséquent fort extraordinaire. Cette sage personne, peu de temps après cette mort, voulant mépriser entièrement les grandeurs du monde, les quitta toutes, comme indignes d’occuper quelque place dans son ame ; elle se donna à Dieu et s’enferma dans le grand couvent des Carmélites, où elle sert d’exemple par la vie qu’elle mène[1]. »

Mademoiselle[2], qui avait fort connu et tendrement aimé Mlle d’Épernon, reprend les choses de plus haut :

« Ce fut principalement dans ces bals-là (pendant l’hiver de 1644) que le chevalier de Guise (depuis le duc de Joyeuse) témoigna tout-à-fait sa passion pour Mlle d’Épernon… La maladie de[3] Mlle d’Épernon me mettoit fort en peine. M. le chevalier de Guise eut pour elle tous les soins imaginables. La considération du péril qu’il y a d’approcher ceux qui ont la petite récolte ne l’empescha pas de l’aller visiter tous les jours. Il témoigna pour elle une passion incroyable qui dura encore tout l’hiver suivant.

Le mariage échoua, non pas du tout, comme le dit l’abbé Montis, par le refus ou les incertitudes de Mlle d’Épernon, mais par les intrigues de Mlle de Guise, qui tenta de marier son frère à Mlle d’Angoulême.

Après la mort du chevalier de Fiesque, tué au siége de Mardyk, Mlle d’Épernon parut toute changée. Elle, naguère si livrée aux magnificences, si éprise des divertissemens, ne songea plus qu’à son salut, « ce qui[4] me déplut et surprit, » dit Mademoiselle.

« Je l’avoir vue bien éloignée de l’austérité qu’elle preschoit à toute heure ; elle ne parloit plus que de la mort, du mépris du monde, du bonheur de la

  1. Tome I, p. 369.
  2. Ibid., p. 74.
  3. Ibid., p. 79.
  4. Ibid., p. 124.