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retirer ses portraits de leurs mains, afin de les brûler. Un de ces portraits lui ayant été envoyé, elle se fit un amusement de le montrer à la communauté assemblée. À cette vue, toutes les religieuses, sans la reconnoître d’abord, se sentirent émues et demandèrent à Dieu de ne point laisser dans le monde ce chef-d’œuvre de nature digne de lui seul et d’en gratifier le Carmel. Une d’entre elles, sœur Marie de Sainte-Thérèse, fille de Mme Acarie, s’offroit à Dieu pour souffrir tout ce qu’il lui plairoit en retour de cette grace. Alors Marie-Madeleine de Jésus, en souriant et frappant sur son épaule, lui dit que la bonté de Dieu avoit prévenu ses désirs, que la personne pour laquelle elle trembloit étoit déjà dans l’ordre, et qu’il falloit seulement demander sa persévérance. »

La sœur Marie-Madeleine passa rapidement par tous les emplois de l’ordre. Élue prieure en 1635 et souvent réélue, elle vit mourir en 1637 la bienheureuse mère Madeleine de Saint-Joseph, en 1652 la mère Marie de Jésus, et successivement les premiers et admirables supérieurs du saint monastère[1]. Les guerres de la Fronde lui furent une épreuve périlleuse, et elle se trouva partagée entre la reine Anne et la princesse de Condé, les deux protectrices du couvent. Elle fut obligée de quitter quelque temps la maison de la rue Saint-Jacques, trop exposée aux gens de guerre, d’envoyer une partie de la communauté à Pontoise et de mener l’autre à la rue Chapon. Il lui fallut une grande fermeté pour maintenir la discipline religieuse au milieu de cette tourmente. De peur du moindre relâchement, elle exigeait davantage. Elle renouvelait sans relâche dans les ames commises à sa garde la ferveur de l’esprit primitif. On dit qu’elle parlait à ses filles avec des paroles de feu qui les pénétraient d’une sainte émulation. Elle eut enfin au plus haut degré le don du gouvernement. Ce fut entre ses mains que vinrent se remettre et faire profession tant de personnes de la plus haute naissance, cœurs blessés ou repentans qui se réfugièrent alors aux Carmélites.

Marie-Madeleine mourut en 1679, la même année que Mme de Longueville. Elle avait trouvé une admirable collaboratrice dans Mlle de Bellefonds.

Judith de Bellefonds était née en 1611. Son père était l’aïeul du maréchal de ce nom. Sa mère était sœur de la maréchale de Saint-Géran ; et elle-même était la sœur de la marquise de Villars, mère du vainqueur de Denain, célèbre par les graces de sa personne et de son

  1. Nous citerons les plus connus : en 1614, le cardinal de Bérulle, visiteur perpétuel ; en 1619, visiteur, le père de Condren, le second général de l’Oratoire, et supérieur le père Gibieuf, savant oratorien, un des correspondans de Descartes ; en 1653, M. de Gamaches ; en 1655, M. Grandin ; en 1662, M. Favret, docteur en théologie et curé de Saint-Nicolas-du Chardonnet ; en 1678, M. Pirot, docteur de Sorbonne ; en 1715, M. Vivant, grand-vicaire du cardinal de Noailles ; en 1740, M. Delamare, grand pénitencier de l’église de Paris, et en 1747 M. l’évêque de Bethléem, célèbre pour avoir extirpé le jansénisme qui s’était introduit aux Carmélites a la fin du siècle précédent.