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allemande qu’elle doit son esprit enthousiaste et aventureux, ses idées de réforme et ses espérances d’idéal réalisé sur la terre. Cet enthousiasme n’est pas une maladie qui lui soit particulière, c’est un enthousiasme partagé par ses compatriotes, et qui se répand et se propage de plus en plus aux États-Unis. Toutes les fantaisies philosophiques, tous les rêves que nous étions habitués à considérer comme habitant exclusivement l’autre côté du Rhin, nous reviennent depuis maintes années du Nouveau-Monde avec un air de brutale naïveté et d’idéale gaucherie. Les Américains sont gloutons de science et d’instruction, et ils se précipitent avec empressement sur la première nourriture qui leur est présentée. C’est ainsi qu’il faut expliquer le succès qu’ont obtenu aux États-Unis certains livres et certains systèmes dont on leur prêche chaque jour l’étude, et qu’ils se garderont bien d’appliquer. Tant que les doctrines socialistes, par exemple, leur ont été présentées sous la forme brutale du mormonisme, ils ont reculé avec dégoût devant cette caricature du christianisme protestant et cette excroissance corrompue des doctrines qui les font vivre et qui leur sont propres ; mais, lorsqu’elles leur sont présentées sous une forme alambiquée et sophistique qui bouleverse leur imagination et étonne leur raison encore inculte, l’amour, et l’on pourrait dire la rage de la science et de l’instruction fait qu’ils les adoptent sans examen et sans défiance. Marguerite Fuller a contribué plus que personne à exciter en eux ce désir de connaître et de savoir ; elle leur a versé plus que personne les breuvages enchantés ; quelques-uns étaient d’une nature équivoque, il faut en convenir, mais pour la plupart ils furent salutaires. Elle a exercé sur le monde littéraire américain une immense influence, et tous ceux qui se sont approchés d’elle se sont retirés avec des idées et des inclinations autres que les vieilles idées et les vieilles inclinations américaines.

L’influence de Marguerite Fuller, ainsi que nous le montrerons, a été réelle et salutaire ; elle contribua à faire circuler dans l’atmosphère intellectuelle de l’Amérique un courant nouveau de spiritualisme et de stoïcisme. Toutefois, avant de montrer cette influence dans ce qu’elle a de réellement remarquable, disons qu’il y a encore en elle bien des singularités équivoques. En dépit de toute sa science européenne, Marguerite reste Américaine et emploie parfois, pour arriver à ses fins, les plus singuliers procédés. Nous ne connaissons aucun fait qui donne mieux l’idée de cette gloutonnerie intellectuelle américaine dont nous parlions tout à l’heure que les conversations de Marguerite et son enseignement privé aux dames de Boston. Durant l’automne de 1839, une idée étrange traverse son esprit, et elle écrit à mistress George Ri pley une lettre, — disons mieux, une circulaire et un prospectus, — dans laquelle elle expose un plan de conférences