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monde, la libéralité avec laquelle il assistoit ceux de ses amis qui en avoient besoin, les officiers et les soldats blessés, le secret qu’il gardoit en leur faisant du bien, firent augurer aux clairvoyans qu’il serait un jour un des plus grands capitaines du monde. »

C’est dans l’hiver de 1641 qu’on lui fit épouser Mlle de Brézé, nièce de Richelieu. Le duc d’Enghien fit tout ce qu’il put pour éviter cette alliance, qui répugnait à son cœur autant qu’à son ambition. Il avait jeté les yeux sur Mademoiselle, alors fille unique du duc d’Orléans, belle, jeune, riche et spirituelle. Déjà aussi il avait laissé pénétrer dans son ame un sentiment particulier pour une autre personne, qu’il finit par adorer. Il ne se rendit qu’après une longue résistance, et en protestant officiellement et par devant notaire[1] qu’il cédait à la force et à la déférence qu’il devait à la volonté de son père. Il en tomba malade et fut même en danger, quand tout à coup le bruit se répandit que la campagne allait s’ouvrir et que l’armée du maréchal de La Meilleraye marchait en Flandre pour s’emparer de la place forte d’Aire. Il apprend cette nouvelle convalescent et dans une si grande faiblesse qu’à peine pouvait-il quitter le lit.

« Il part en cet estat, dit Lenet[2], sans que les prières de sa famille, les larmes de sa maîtresse, ny le commandement du roy mesme le pussent déterminer à rester. Il apprit dans sa marche, estant à Abbeville, que le cardinal infant approchoit de la place assiégée pour en attaquer les lignes ; il quitte son carrosse, monte à cheval à l’heure mesme avec le duc de Nemours, son ami intime, et qui estoit un prince beau, plein d’esprit et de courage, que la mort lui ravict bientost après[3]. Il passe la nuit par Hesdin, si près des ennemis qu’on peut quasi dire qu’il traversa leur armée, et arriva heureusement dans le camp, qui le reçut avec un applaudissement et une joie qu’il seroit difficile d’exprimer. Cette fatigue, qui devoit faire craindre une rechute à un convalescent foible et exténué, luy redonna de nouvelles forces, et on le vit dès-lors s’exposer à tous les périls de la guerre ; il couchoit souvent dans la tranchée ; il y mangeoit, et il n’y avoit travail, tout advancé qu’il peust être, où on ne le vît aller comme un simple soldat… Au siège de Bapaume, le duc voulut finir la campagne comme il l’avoit commencée, c’est-à-dire se trouvant partout, et essuyant tous les hasards et tous les périls de la tranchée et des travaux avancés. Il ne fut pas possible de lui faire quitter l’armée tant qu’il crut qu’il y avoit quelque chose de considérable à entreprendre. »

Quelque temps après, il suivit le cardinal de Richelieu et le roi au siége de Perpignan. Il y fut blessé, et se couvrit de gloire, en sorte qu’il n’y eut pas le moindre étonnement lorsqu’en 1643, après la mort

  1. Mémoires, p. 455.
  2. Ibid., p. 455.
  3. Le frère aîné de celui qui, ayant pris son titre après sa mort, se distingua aussi par sa beauté, sa bravoure et sa galanterie, joua un assez grand rôle dans la vie de Mme de Longueville, et périt dans un duel insensé contre le duc de Beaufort, son beau-frère.