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austorisé ministre, qui tenoit pour lors le timon de l’estat, de l’envoyer dans son gouvernement de Bourgogne avec des lettres patentes pour y commander en son absence »

« Les troupes traversoient souvent la Bourgogne, et souvent elles y prenoient leurs quartiers d’hyver. Là le jeune prince, commença d’apprendre la manière de les bien establir et de les bien régler, c’est-à-dire à faire subsister des troupes sans ruiner les lieux où elles séjournent. Il apprit à donner des routes et des lieux d’assemblée, à faire vivre les gens de guerre avec ordre et discipline. Il recevoit les plaintes de tout le monde et leur faisoit justice. Il trouva une manière de contenter les soldats et les peuples ; il recevoit souvent des ordres du roy et des lettres des ministres ; il était ponctuel à. y respondre, et la cour comme la province voyoit avec estonnement son application dans les affaires. Il entroit au parlement quand quelques subjects importants y rendoient sa présence nécessaire ou quand la plaidoirie de quelque belle cause y attiroit sa curiosité. L’intendant de la justice n’expédioit rien sans lui en rendre compte ; il commençoit dès-lors, quelque confiance qu’il eust en ses secrétaires, de ne signer ni ordres ni lettres qu’il ne les eust commandés auparavant et sans les avoir vus d’un bout à l’autre… Ces occupations grandes et sérieuses n’empeschoient pas ses divertissemens, et ses plaisirs n’estoient pas un obstacle à ses études. Il trouvoit des jours et des heures pour toutes choses ; il alloit à la chasse ; il tiroit des mieux en voyant ; il donnoit le bal aux dames ; il alloit manger chez ses serviteurs ; il dansoit des ballets ; il continuoit d’apprendre les langues, de lire l’histoire ; il s’appliquoit aux mathématiques, et surtout à la géométrie et aux fortifications ; il traça et esleva un fort de quatre bastions à une lieue de Dijon, dans la plaine de Blaye, et l’empressement qu’il eust, de le voir achever et en estat de l’attaquer et de le deffendre, comme il fit plusieurs fois avec tous les jeunes seigneurs et gentilshommes qui se rendoient assidus auprès de luy, estoit tel qu’il s’y faisoit apporter son couvert et y prenoit la pluspart de ses repas. »

Ainsi préparé, le duc d’Enghien alla, pendant l’été de 1640, servir en qualité de volontaire dans l’armée du maréchal de la Meilleraye. Celui-ci voulait prendre ses ordres et avoir l’air au moins de dépendre de lui. Le jeune duc s’y refusa opiniâtrement, disant qu’il était venu, pour apprendre son métier, et qu’il voulait faire toutes les fonctions d’un volontaire, sans qu’on eût égard à son rang. Dans une des premières affaires, la Ferté-Senneterre fut blessé et eut son cheval tué d’un coup de canon. Le duc d’Enghien était si près de lui, que le sang du cheval lui couvrit le visage. Au siége d’Arras, on le vit partout à la tête des volontaires. Il se trouva à toutes les sorties que firent les assiégés ; il quittait très peu la tranchée ; il y couchait souvent et s’y faisait apporter à manger. Il y eut trois combats pendant ce siége. Le jeune duc se distingua dans tous. « Le grand cœur qu’il montra en toutes ces occasions, dit Lenet[1], la manière obligeante dont il traitoit tout le

  1. Mémoires, p. 450.