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son père avec la mâle tendresse dont nous avons déjà parlé, et dont les fruits ont été trop grands pour qu’il ne nous soit pas permis de nous y arrêter un moment.

M. le Prince ne donna pas de gouverneur à son fils : il voulut diriger lui-même son éducation, en se faisant aider par deux hommes d’élite, l’un pour les exercices du corps, l’autre pour ceux de l’esprit. Le jeune duc fit ses études chez les jésuites de Bourges avec le plus grand succès. Il y soutint avec un certain éclat des thèses de philosophie. Il apprit le droit sous le célèbre docteur Edmond Mérille. Il étudia l’histoire et les mathématiques, sans négliger l’italien, la danse, la paume, le cheval et la chasse. De retour à Paris, il revit sa sœur, et fut charmé de ses graces et de son esprit ; il se lia avec elle de la plus tendre amitié, qui plus tard essuya bien quelques éclipses, mais résista à toutes les épreuves, et après l’âge des passions devint aussi solide que d’abord elle avait été vive. À l’hôtel de Condé, le duc d’Enghien se forma dans la compagnie de sa sœur et de sa mère à la politesse, aux belles manières, à la galanterie. Son père le mit à l’académie sous un maître renommé, auquel il donna une absolue autorité sur son fils. Louis de Bourbon y fut traité aussi durement qu’un simple gentilhomme. Il eut à l’académie les mêmes succès qu’au collège, d’où il était sorti le plus capable de tous ceux qui y étaient avec lui. Laissons parler Lenet[1], véridique témoin de tout ce qu’il raconte :

« L’on n’avoit point encore vu de prince du sang eslevé et instruit de cette manière vulgaire ; aussi n’en a-t-on pas vu qui ait en si peu de temps et dans une si grande jeunesse acquis tant de savoir, tant de lumière et tant d’adresse en toute sorte d’exercices. Le prince son père, habile et éclairé en toute chose, crut qu’il seroit moins diverti de cette occupation, si nécessaire à un homme de sa naissance, dans l’académie que dans l’hostel ; il crut encore que les seigneurs et les gentilshommes qui y estoient et qui y entreroient pour avoir l’honneur d’y estre avec lui seroient autant de serviteurs et d’amis qui s’attacheroient à sa personne et à sa fortune. Tous les jours destinés au travail, rien n’estoit capable de l’en divertir. Toute la cour alloit admirer son air et sa bonne grace à bien manier un cheval, à courre la bague, à danser et à faire des armes. Le roi même se faisoit rendre compte de temps en temps de sa conduite, et loua souvent le profond jugement du prince son père en toute chose, et particulièrement en l’éducation du duc son fils, et disoit à tout le monde qu’il vouloit l’imiter en cela, et faire instruire et élever monsieur le Dauphin de la mesme manière… »

«… Après que le jeune duc eut demeuré dans cette escole de vertu le temps nécessaire pour s’y perfectionner, comme il fit, il en sortit, et, après avoir esté quelques mois à la cour et parmi les dames, où il fist d’abord voir cet air noble et galand qui le faisoit aymer de tout le monde, le prince son père fit trouver bon au roy et au cardinal de Richelieu, ce puissant, habile et

  1. Mémoires de Lenet, édition de Michaud, p. 448.