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Paul Manuce, lettre que l’accusé avait signalée lui-même au ministre de l’instruction publique en 1841, et qu’il a vendue plus tard, au mois d’avril 1846. À ce sujet, vous vous exprimez ainsi (p. 318) :

« Il n’y a qu’un juge à qui puissent échapper des énormités comme celle-ci : M. Libri a vendu en 1847 (lisez 1846) une lettre de l’Arétin à Paul Manuce ; d’autre part, la bibliothèque de Montpellier a perdu une lettre de l’Arétin à Alde Manuce ; donc M. Libri l’a volée, syllogisme comparable à celui-ci : J’ai perdu mon chat, Jean a vendu un chien, donc Jean a pris mon chat. Il y a un dictionnaire historique à l’École des chartes, et les élèves de première année savent que Alde Manuce fut le père de Paul Manuce. Mais où le juge se révèle, c’est quand il dit : « Les lettres de l’Arétin sont très rares. » Un juge ne connait de cet auteur que les sonnets. Les lettres sont si rares, qu’on n’en a encore publié que six volumes in-8o. »

Nous le reconnaissons, monsieur, il y a ici une petite inexactitude dans l’acte d’accusation qui a reproduit incomplètement le titre du recueil contenant les lettres adressées aux Manuce. Sans vouloir recourir à notre rapport, où ce titre est transcrit en entier, nous pourrons vous indiquer le catalogue des manuscrits de la bibliothèque de Montpellier, publié par le ministère de l’instruction publique[1]. Vous ne le récuserez certainement pas, car il a été rédigé par M. Libri[2]. On y lit, p. 393, n° 272 : Lettere autografe A PAOLO e ad Aldo Nanuzio e ad altri, etc. Enfin, malgré votre dire, les lettres originales de l’Arétin sont si rares, que, sur les quatre-vingt-quinze mille pièces autographes qui ont passé dans les ventes publiques à Paris, de 1822 à 1852, il n’y en a eu que cinq de l’auteur des Sonnets. Une seule est adressée à Paul Manuce, et c’est précisément celle dont parle l’acte d’accusation.

La plupart des catalogues des bibliothèques publiques, surtout ceux qui remontent à une époque assez ancienne, sont, tout le monde le sait, rédigés d’une manière incomplète et défectueuse. Les titres y sont très souvent tronqués et défigurés[3] ; de plus, pour désigner les formats, on a ordinairement tenu compte, non pas du nombre de pages que contenait chaque feuille, mais de la grandeur et de la dimension du volume, comme on le fait encore aujourd’hui ; d’où il est arrivé que, surtout pour les éditions du XVe siècle et du XVIe, on a indiqué des in-40 comme des in-folio, des in-12 comme des in-8o, et réciproquement[4]. Vous avez négligé ces diverses particularités, et c’est là une des causes des erreurs que nous allons avoir à relever.

Entrons maintenant dans la discussion des faits, et rappelons d’abord cette phrase où vous annoncez avoir examiné l’acte d’accusation :

« M’aidant tantôt, dites-vous, des brochures publiées par M. Libri et ses

  1. Paris, 1849, in-4o.
  2. Voyez préface, page VI,
  3. L’édition de Salluste dont vous parlez à la page 322 est, d’après nos notes, indiquée ainsi sur le catalogue de la bibliothèque de Montpellier : C. Sallustii Crispi, Conjuratio Catilina… Venise, 1509 (et non 1519, comme il a été imprimé au Moniteur), Alde, in-8o. Ce n’est point là le titre exact du volume ; on aurait dû mettre : De Conjuratione Catilinoe.
  4. Voyez la préface de l’Histoire de le Littérature grecque (1823, t. I, p. XIII et XIV), où Schœll parle de cette confusion des formats,