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Il n’y a pas d’ouverture à l’opéra du Juif errant, et c’est dommage. M. Halévy en a pourtant composé une, assure-t-on, dont il était assez content, et qu’il a été forcé de supprimer pour abréger un ouvrage de dimensions déjà extrêmes. Une courte introduction symphonique précède seulement le lever du rideau. Sans avoir rien de remarquable, le premier chœur rend assez bien l’entrain et la joie bruyante d’une fête populaire ; mais il aurait été à désirer que la ballade que chante Théodora fût d’une mélodie plus franche et d’in rhythme moins indécis. Sans tomber dans les puérilités de la musique imitative, il était nécessaire ici que, pour peindre la marche fatigante du Juif errant, le compositeur trouvât un rhythme accusé qui pût se graver facilement dans l’oreille du public. Il est vivement à regretter que M. Halévy n’ait point attendu l’heure propice de l’inspiration pour composer ce morceau important, qui résume la couleur et le récit de la légende. Mme Tedesco, d’ailleurs, manque complètement de simplicité en chantant cette ballade dont elle surcharge la mélodie un peu terne et trop courte d’un portamento de voix ambitieux qu’il faudrait réserver pour une meilleure occasion. Les quelques mesures de récitatif que chante l’officier en ordonnant le couvre-feu sont d’un beau caractère, et le chœur qui suit et qui se chante d’une voix assourdie nous semble beaucoup plus distingué que le premier. Le chœur des malandrins a de la vivacité et de la couleur, tandis que la romance du Juif errant :

Ah ! sur ton front de rose,
Mon pauvre et bel enfant !


dans laquelle l’éternel vieillard exprime l’émotion dont il est pénétré à la vue de cette jeune fille qu’il vient de sauver, et qui le touche de si près, manque peut-être de relief et de nouveauté. Le second acte est beaucoup plus riche que le premier. Il commence par un assez joli trio entre Léon, Théodora et Irène, auquel succède le quatuor des marchands d’esclaves pour quatre voix de basse, qui est ingénieusement écrit. Mais le morceau important du second acte est le duo de Théodora et de Léon, dont la phrase principale, que répètent tour à tour les deux interlocuteurs, est charmante. Quelques longueurs, des parties parasites qu’on pourrait extirper sans danger et un dessin mal arrêté affaiblissent l’effet de ce morceau, que Mme Tedesco chante, pour sa part, avec une pompe de style dont on cherche vainement la raison. La première partie du finale est fort bien traitée, les voix y sont groupées avec art, et, si l’orchestre ne languissait parfois et reflétait des couleurs moins sombres, ce morceau d’ensemble terminerait heureusement le second acte. L’acte suivant se recommande avant tout par la musique de ballet. L’épisode du berger Aristée et des abeilles, emprunté au quatrième livre des Géorgiques de Virgile, a inspiré à M. Halévy une mélodie fine que les instrumens à cordes armés de sourdines font doucement susurrer comme un essaim qui prend ses ébats. Ce délicieux gazouillement, joint à la mélodie suave et pénétrante qu’exhale la double flûte du berger Aristée, prouve que M. Halévy sait au besoin parler la langue du caprice et celle de la poésie. Nous aimons beaucoup moins le trio qui vient après le ballet entre Léon, Théodora et Irène. Ce morceau consiste en une seule phrase mélodique que chaque personnage répète tour à tour sans que l’ensemble soit avivé par des courans nouveaux. Cette manière de construire les morceaux d’ensemble, qui est habituelle à M. Halévy, a le grave inconvénient,