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l’impératrice, lorsque la figure sinistre du Juif errant apparaît au milieu de ces bandits, qui essaient en vain de le tuer. Invulnérable au fer et au feu, le Juif met en fuite cette troupe sauvage et sauve la jeune enfant, qui lui tient au cœur par un lien mystérieux. — Mais, dira-t-on, cet homme condamné par la volonté suprême à l’isolement et au mouvement éternel est donc le père du genre humain, puisque le voilà déjà qui reconnaît Théodora pour sa fille, et que l’enfant qu’il vient d’arracher aux poignards des assassins lui fait dire les paroles suivantes :

De la fille que j’aime,
Cher et doux souvenir
Que l’éternité même
Ne pourra pas bannir !


La comtesse de Flandre, qu’on vient d’assassiner, était donc la fille ou la petite-fille d’Ahasverus, et par conséquent la sœur ou la tante de Théodora la batelière ? — Nous ne demanderions pas mieux que d’éclaircir les doutes du lecteur, si MM. Scribe et Saint-George avaient daigné s’occuper de ces petits détails généalogiques.

Le second acte transporte la scène en Bulgarie, au pied du mont Hémus. Pourquoi sommes-nous plutôt en Bulgarie que partout ailleurs ? Parce que c’est dans une guerre contre les Bulgares que le comte Baudoin de Flandre, premier empereur latin de Constantinople, a disparu dans la mêlée, sans qu’on ait jamais pu découvrir ce qu’il était devenu. Voilà pourquoi Théodora, son frère Léon, qui a beaucoup grandi pendant les douze années qui se sont écoulées dans l’entr’acte, et Irène, la fille de Baudoin, qui est cette même enfant sauvée par le Juif errant, sont venus s’établir dans cette riante contrée, afin d’y surveiller de près les graves intérêts qui se rattachent à la succession vacante de l’empire d’Orient. Par les droits de sa naissance, Irène est destinée au trône, et, sans qu’on puisse bien se rendre compte des liens qui existent entre elle, Léon et Théodora, ils vivent tous les trois ensemble comme une de ces familles des temps primitifs où la parenté sacrée de frère et de sœur n’était pas un empêchement à des relations plus intimes. Léon aime tendrement Irène, et, se croyant légitimement son frère, car on se tromperait à moins, il n’ose avouer le sentiment qui l’agite. Théodora devine cependant la passion de son frère Léon pour Irène. Elle le rassure et le désespère tout à la fois en lui apprenant qu’il n’est point le frère de celle qu’il aime, et que néanmoins jamais il ne pourra devenir son époux. L’étonnement de Léon est aussi grand que son désespoir, lorsqu’il s’aperçoit qu’Irène vient d’être enlevée par des marchands d’esclaves dont le chef est ce même Ludgers qui commandait, au premier acte, la troupe de malandrins qui a assassiné la comtesse de Flandre. Sauvée encore une fois par l’intervention du Juif errant qui l’arrache aux mains de Nicéphore, empereur d’Orient, à qui elle avait été vendue comme esclave, Irène devient impératrice de Constantinople, d’où elle est bientôt chassée par un soulèvement populaire et puis rétablie de nouveau avec Léon, qu’elle épouse. La pièce se termine par un tableau du jugement dernier. L’ange exterminateur apparaît alors, et il dit au pauvre Juif errant, qui croyait avoir trouvé enfin le repos sous les décombres de l’univers :

Marche ! marche toujours !