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M. de Schwarzenberg, du reste, était visiblement bien éloigné de ne pas concevoir tout ce qu’avait de périlleux pour la maison de Habsburg la puissance relative procurée par les discordes de l’Autriche à la cour de Russie. Sa bonne volonté pour la France était ancienne et notoire. Dès les premiers jours de son arrivée aux affaires, il avait fait des vœux publics pour le prompt rétablissement de l’ordre et de l’autorité à Paris. Indifférent au personnel du gouvernement français, il ne l’était pas du tout, et il se montrait par là véritablement Autrichien, à la solidité de ce gouvernement. La manière dont le suffrage universel fonctionnait chez nous et sa tendance à écraser l’anarchie au prix même du sacrifice de la liberté politique l’avaient, comme beaucoup d’hommes d’état étrangers, singulièrement frappé. Le prince de Schwarzenberg avait jugé les grandes conséquences de notre état social, et, le comparant à celui si précaire, et si profondément affaibli par toute espèce de passions, des états allemands et, des états slaves, il penchait fortement pour la vraie alliance de sa cour comme de, son pays, pour l’alliance française. Ce penchant, qui s’est trahi tout récemment à l’occasion des événemens du 2 décembre dernier et de leurs plus probables effets, dans des notes dont retentissent, au moment où nous écrivons, la presse allemande et la presse anglaise ; ce penchant, disons-nous, du prince de Schwarzenberg pour l’alliance française suffirait à révéler en lui un véritable homme d’état. Il n’est pas de pays en effet qui soit plus clairement désigné à l’alliance de l’Autriche que la France et réciproquement. Les deux nations ne sont nulle part limitrophes, car, après tout, le Tessin n’est ni l’Adriatique ni le Var. Sur le Danube, l’Elbe, la Vistule, le Mein et le Rhin, elles ont exactement les mêmes intérêts ; l’une et l’autre sont au plus haut degré intéressées à soutenir ces deux choses d’oie dépend la paix de l’univers : l’intégrité du territoire ottoman et l’indépendance intérieure des états qui font partie de la confédération germanique. Rien qu’en vous réduisant, à ces considérations de pure géographie, cherchez bien sur tout le globe, et voyez s’il est deux grands peuples que la politique et la civilisation jettent aussi naturellement dans les bras l’un de l’autre. Et puis, quelle alliance serait plus efficace, la guerre éclatant, pour l’Autriche, que l’alliance française, — pour la France, que l’alliance autrichienne ? Quelle armée on eût faite des deux armées d’Essling ! Le prince de Schwarzenberg avait certainement pesé ces grandes considérations, car, parmi les derniers actes de sa vie politique, on a remarqué les préliminaires de la négociation d’un traité de commerce avec notre gouvernement, qui, nous l’espérons bien, malgré quelques difficultés importantes sans doute, mais non insurmontables, finira, — une diplomatie loyale et éclairée des deux paris y aidant,- par être ratifié. L’union commerciale des deux pays est la meilleure garantie du maintien et du succès de leur bonne entente internationale. Quand leurs intérêts seront liés, et ils peuvent se lier sans se blesser, leur politique pourra agir avec une grande efficacité dans la même voie ; bien des préjugés se dissiperont, bien des difficultés s’aplaniront ; qui sait ? le rêve entier de M. de Talleyrand, ce rêve qu’on a trop méprisé pour le malheur général, finira peut-être par s’accomplir, et une transaction honorable et profitable à tout le monde fermera les séculaires blessures de l’Italie, sans diminuer en rien la grandeur de l’Autriche.

Le prince de Schwarzenberg a-t-il emporté sa politique avec lui dans la