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de l’unité de l’empire, unité à laquelle il n’était pas un peuple de la monarchie, le peuple hongrois compris, qui ne tint, et celui de l’égalité des droits entre toutes les races (Gleichberechtiqung), égalité qui, après la suprématie, était le vœu secret de toutes les nations de la monarchie. Dès le 2 décembre, jour de l’avènement du nouvel empereur, le prince de Schwarzenberg, dans un manifeste qu’il lui conseilla, lui fit proclamer, dans un langage aussi énergique que pittoresque, cette intelligente et forte politique. « L’édifice nouveau que nous allons reconstruire, disait le jeune empereur, sera comme une grande tente où, sous le sceptre héréditaire de nos aïeux, les diverses races de l’empire s’abriteront plus libres et plus unies que jamais. » Image expressive et brillante du gouvernement, un quant au centre, mais si divers dans ses rayons, de la maison de Habsburg ! C’est bien une tente en effet que cette charmante et singulière ville de Vienne, que la fortune et la guerre ont été fonder là-bas, au point où l’Occident finit et où l’Orient commence, pour être comme le caravansérail des populations dont les croyances, la langue, les mœurs, l’histoire, servent de transition entre les deux mondes.

Une telle politique eût mérité de réussir sans être éprouvée par l’injustice du sort, car elle avait pour elle la raison, le bon droit et l’habileté. On ne sait que trop qu’il n’en fut pas ainsi. L’armée impériale, qui représentait la véritable Autriche, fut battue. L’héroïsme inconsidéré des Hongrois, exploité d’ailleurs par de tristes passions de toute origine et de tout genre, attira sur leur patrie et sur le reste de l’empire une calamité douloureuse à tout l’Occident. En avril 1849, voyant ses troupes refoulées sur toute la ligne, le prince de Schwarzenberg, pour sauver une politique où il voyait avec raison le salut de son pays, appela les Russes.

On a amèrement reproché au ministre autrichien l’usage de cet héroïque remède. Il est certain qu’il ne pouvait payer d’un prix plus dur la rançon du grand gouvernement qu’il voulait sauver ; mais il faut examiner, avant de condamner sa mémoire, s’il fut libre d’avoir recours à un moyen différent. À qui la cour de Vienne eût-elle pu demander appui en avril i849, si ce n’est à la Russie ? A l’Allemagne et à la puissance militaire la plus considérable de l’Allemagne, à la Prusse ? En fait d’humiliation, on conviendra que la dernière que puisse subir la monarchie autrichienne est celle d’être sauvée, si tant est qu’elle eût pu l’être ainsi, par la Prusse. À l’Angleterre ? Mais les Hongrois alors étaient populaires à Londres, et d’ailleurs, quand bien même ils ne l’eussent pas été, où les Anglais auraient-ils pris soixante mille hommes à envoyer guerroyer sur la Theiss ? Le prince de Schwarzenberg était donc condamné à appeler les Russes ou à voir les Hongrois l’emporter, et le lendemain, il n’est pas un homme de sens qui puisse s’y tromper, l’Autriche se dissoudre. Quant aux effets de cette intervention des Russes en Autriche, ils n’ont pas été aussi graves que généralement on le pense. La capitulation de Vilagos a porté un coup terrible à la cause hongroise ; mais l’armée autrichienne proprement dite n’en a dans son moral nullement été atteinte. L’indépendance de la cour de Vienne, de ce côté, est aussi pleine qu’à aucune époque elle a pu l’être : un dissentiment éclaterait demain entre elle et celle de Russie, qu’il n’est pas un soldat autrichien qui se sentît diminué par le souvenir des événemens de Hongrie. Quant au résultat politique de l’intervention russe, il a été après