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elle s’est réorganisée comme à aucune autre époque de ses annales on ne l’avait vue ; au dehors, sa légitime influence est aussi bien établie que jamais. Elle a reconquis, notamment en Allemagne, l’ascendant de ses plus beaux jours. Le prince de Schwarzenberg n’a pas accompli à lui seul sans doute ce salut inespéré de son pays, et ce n’a pas été non plus sans de grands sacrifices que ce salut a été obtenu ; mais ce que les contemporains peuvent dire dès aujourd’hui sur sa tombe à peine fermée, ce que l’histoire dira comme les contemporains, c’est que, dans cette œuvre difficile et un moment jugée presque impossible, il a, avec une netteté de vues et une vigueur de résolutions peu communes, rempli le premier rôle.

Il jugea dès l’origine à merveille ce qu’avait de grave et ce qu’avait de factice la situation périlleuse faite par les événemens à la monarchie et à l’empire. Les peuples divers que le gouvernement de Vienne réunit sous un même sceptre se jalousent extrêmement les uns les autres ; mais, si vous exceptez les Polonais et les Italiens, qui ne sauraient être satisfaits que par leur entière indépendance, il n’en est pas un seul qui, animé à un degré profond de l’esprit autrichien, n’éprouve le besoin de se rattacher à un grand centre commun et ne lève ses regards sur Vienne. Cela tient d’une part à ce que chacun de ces peuples comprend très bien qu’il ne serait pas assez fort pour se soutenir seul et indépendant, au centre de l’Europe, entre les deux grandes races qui y dominent, la race allemande et la race slave, et d’autre part à ce que rien n’est plus insupportable à l’un d’entre eux que l’idée de subir la suprématie d’un autre peuple, quel qu’il soit. De là la vigueur secrète de la cohésion de toutes les parties de l’empire, de là aussi les élémens de division qui y fermenteront toujours, et qu’il est presque inévitable de n’y pas voir éclater quelquefois. L’insurrection hongroise, à la fin de 1848, n’était qu’un des mille et inévitables épisodes de cette guerre de suprématie que se sont toujours faite et que se feront toujours les différentes populations de l’empire. On a imprimé alors à des milliers d’exemplaires, en Angleterre et en Allemagne, que les Magyars, dans cette guerre, revendiquaient les armes à la main la chose la plus sacrée que puisse défendre un peuple, l’indépendance nationale. C’était de la part des uns une erreur, de la part des autres une tactique. Les Polonais et les Italiens de l’Autriche se sont souvent battus et se battront encore à toute occasion que la fortune leur enverra pour leur indépendance ; mais les autres peuples de l’empire, les Magyars surtout, n’ont presque jamais pris les armes que dans des vues d’influence et de conquête. Ce n’était pas pour autre chose qu’ils s’étaient levés dans cet hiver de 1848, où la cour de Vienne, réfugiée à Olmütz, se vit au moment d’en être dépossédée par eux. Loin d’avoir à défendre leur indépendance, les Magyars, à cette époque encore, étaient la nation politiquement et administrativement la plus privilégiée de l’empire ; les vrais motifs de leur mécontentement, c’étaient d’un côté la perte qu’ils venaient de faire de leur suprématie sur la Croatie et sur la Transylvanie, de l’autre le désir ardent qui les possédait de substituer à Vienne, dans les conseils de l’Autriche et par suite de l’Europe, l’influence de leur race à celle de la race allemande. Le prince de Schwarzenberg vit très clair dans ce chaos, et, ce qui était plus rare, il adopta aussi résolûment que sainement le vrai moyen d’en sortir. Ce moyen, ce fut de se proclamer plus Autrichien que personne, en arborant tout ensemble le drapeau