Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme qui, depuis quatre ans, rendait de grands services à la cause de la société laisse, non-seulement dans les conseils de la maison d’Autriche, mais dans ceux de l’Europe, un vide réel. Le prince de Schwarzenberg avait les grands côtés de l’homme public ; on attendait beaucoup, sur la foi de sa conduite passée, du poids dont il eût pu peser encore dans les hasards inconnus où la révolution emporte le monde, et la pensée de ce qu’il aurait pu faire s’il eût vécu, jointe à la mémoire récente de ce qu’il avait fait, a rendu sa perte très sensible à tous les esprits qui suivent le mouvement des affaires.

On sait que c’est en novembre 1848 seulement que le prince de Schwvarzenberg était parvenu au poste de ministre dirigeant de l’empire d’Autriche. Sans la révolution de février et le contrecoup qu’elle eut au mois de mars suivant à Vienne, il est vraisemblable, malgré son beau nom, l’influence de sa famille et les services importans déjà que personnellement il avait rendus, qu’il n’eût jamais rempli une aussi grande charge politique. Dans les dernières années de la puissance de M. de Metternich, quand les courtisans ou les diplomates essayaient de pressentir son successeur, c’était vers les Dietrichstein et les Collorédo que leurs pensées se tournaient. Le prince de Schwarzenberg était pour tout le monde alors ce que sans la révolution il fût demeuré sans doute le reste de sa vie, un grand seigneur, ambassadeur de profession et général de nom ; mais nul assurément ne soupçonnait en lui l’homme d’état que les événemens devaient produire. La révolution le prit ministre plénipotentiaire à Naples. À la nouvelle des événemens de Vienne et de Milan, le peuple napolitain se soulève, se porte à l’ambassade d’Autriche, abat l’écusson des armes impériales, le traîne dans la boue, puis le brûle. Le prince, dont un outrage pareil devait légitimement exaspérer le caractère, fort impétueux déjà de sa nature, envoie sommer le gouvernement napolitain de lui faire réparation. Ayant vainement attendu deux jours, il quitte Naples et se rend droit là où les dangers de l’empire appelaient alors tout Autrichien sachant porter l’épée, à l’état-major du maréchal Radetzky. Le nom qu’il portait était célèbre dans l’histoire militaire de l’Autriche, mais lui-même était inconnue dans l’armée. Le prince sentit qu’il fallait payer de sa personne : il n’y manqua pas. Le maréchal, l’état-major et les troupes le jugèrent rapidement : il était toujours du parti le plus court dans les conseils et au plus vif du feu dans les combats, si bien qu’à l’assaut de Vicence, chargé à la tête de sa division d’enlever l’importante position du théâtre, chef-d’œuvre de Palladio, il fut blessé de manière à ne pouvoir plus tenir la campagne. On était au mois de juin : la révolution faisait des progrès effrayans dans l’empire. Le ministère Pillersdorf, qui, le 13 mars, le jour de l’abdication du prince de Metternich, avait pris les affaires, perdait chaque jour du terrain et ne faisait que marcher de concessions en concessions. Le baron de Kubeck, le, premier, avait dû être sacrifié aux exigences populaires, puis M. de Ficquelmont, puis l’empereur lui-même, qui avait été obligé d’aller chercher un asile chez ses fidèles Tyroliens, dans la capitale de la Bretagne autrichienne, à Innsbruck. Bientôt, le 19 juillet, une administration entièrement nouvelle prit, sous la présidence de M. de Wessenberg, les rênes des affaires. Plus malheureux encore que son devancier, ce cabinet nouveau tomba le 6 octobre devant la révolte. Le ministre de la guerre, le général Latour, fut assassiné ; le ministre de la justice, le docteur Bach, à qui sa résolution,