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cantons d’Argovie, de Zurich, de Thurgovie et à la Suisse française, qui est déjà suffisamment exploitée par le radicalisme. Il est certes fort à souhaiter que cette victoire de la politique conservatrice se généralise en Suisse, comme n’eût point manqué de le faire celle de la politique révolutionnaire.

L’Allemagne, si vivement préoccupée depuis quelque temps de la lutte commerciale de l’Autriche et de la Prusse, n’est point cependant à l’abri de toute agitation politique. Pendant que le gouvernement autrichien, non encore tout-à-fait remis du deuil causé par la mort du prince de Schwarzenberg, continue laborieusement la réorganisation administrative de l’empire sur les principes posés par les ordonnances impériales de décembre 1851, la Bavière est le théâtre de discussions assez vives entre l’église et l’état. Le Wurtemberg, où le radicalisme a conservé des forces, montre encore par instans de fâcheux ressouvenirs du parlement de Francfort et de ses droits fondamentaux. Plusieurs petits états voient leurs constitutions abrogées ou réformées. Enfin la Prusse, où la vie constitutionnelle n’est point encore éteinte, discute avec plus ou moins de suite et de bonheur les modifications qui pourraient être apportées à sa charte de 1850. L’une des questions les plus délicates auxquelles ce débat ait donné lieu, c’est celle de l’organisation de la pairie, laissée en quelque sorte en suspens par la constitution. En effet, par une disposition expresse de la loi fondamentale, la pairie ne doit être définitivement instituée qu’en août 1852. On sait déjà comment la question des principes à suivre pour la nomination des pairs avait été résolue récemment par la première chambre. Grace à un rapprochement sage, selon, nous, de toutes les opinions modérées, le système de la nomination par le roi, soit à vie, soit à titre héréditaire, avait prévalu. Ce vote avait été regardé comme une défaite humiliante pour l’extrême droite, attachée au principe électif dans l’intérêt de la grande et surtout de la petite noblesse. Toutes les fractions du parti libéral n’envisageaient pas cependant du même point de vue ce résultat défavorable aux hobereaux, mais trop favorable, selon quelques esprits, à la royauté. Le vote de la seconde chambre vient d’accuser cette dissidence entre les différentes nuances de la gauche. Si l’un de ses membres s’écrie : « Fions-nous à la nomination de la couronne, » un orateur éminent, M. de Vincke, répond vivement : « Non, ses choix ne porteront que sur des gentilshommes campagnards ; les hobereaux vont triompher ! » Dans le désir de paralyser les influences bureaucratiques, d’assurer à la future pairie l’indépendance, la liberté d’action, et d’en faire une sorte de pouvoir modérateur entre les partis extrêmes, M. de Vincke consent à courir le risque d’un sénat féodal. La royauté a tranché la difficulté. Satisfaite du vote de la première chambre, et ne pouvant s’accommoder de celui de la seconde, elle vient de signifier à celle-ci qu’elle entend nommer la pairie à sa guise. Le côté particulièrement regrettable de la conduite de la seconde chambre, c’est peut-être moins sa théorie en elle-même que le prétexte qu’elle a fourni à la royauté de s’élever au-dessus de la constitution et du pouvoir législatif. Quand on est faible, il est imprudent d’être hardi. C’est la faute que la gauche vient de commettre en Prusse.

En Angleterre, le ministère tory vient de remporter à la chambre des communes une victoire dont les résultats sont doublement importans : d’une part, cette victoire le fortifie en rapprochant de lui, d’une manière plus étroite, les