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Nous sommes menacés en France d’une perturbation bien plus profonde encore. La loi, reconnaissant deux métaux régulateurs, déclare que la valeur de l’un est supérieure à celle de l’autre dans le rapport de 1 à 15 et demi. Jusqu’en ces derniers temps, la loi s’est accordée suffisamment avec les faits commerciaux ; mais il est clair pour tous les yeux que nous sommes à la veille d’une grande révolution monétaire. Suivant les calculs de M. Michel Chevalier, la production annuelle de l’or est six fois plus forte qu’au commencement du siècle. Il nous arrive, avec une abondance toujours croissante, de la Sibérie, de la Californie, de l’Australie. De 1795, date originaire du système décimal, jusqu’en 1849 inclusivement, le monnayage de l’or n’a pas dépassé chez nous 23 millions par année moyenne ; il était même tombé à 2 millions en 1846. Nos belles pièces de vingt francs passaient alors à l’étranger, où elles trouvaient un emploi plus profitable que chez nous ; on ne pouvait se procurer l’or qu’en payant une prime aux changeurs ; toutes les affaires se soldaient en argent. Survint, à partir de 1850, une dépréciation de l’or déterminée par une réforme monétaire en Hollande et par les merveilles de la Californie. Le rapport des deux métaux précieux se régla dans le commerce de 1 à 15, de sorte qu’en achetant l’or au-dessous du prix que l’état lui attribuait, on pouvait réaliser un bénéfice de 3 pour 100.

Il en coûte, comme chacun sait, 20 centimes par 100 francs pour faire frapper à l’empreinte de l’état les lingots qu’on envoie à l’hôtel des monnaies, et cet établissement est outillé pour produire chaque jour 1 million de francs en espèces d’or. Quiconque était en mesure d’acheter pour 970,000 francs d’or en barres, et d’y ajouter 2,000 fr. pour la façon, recevait le lendemain la somme d’un million ayant cours légal et forcé. C’était un bénéfice de 28,000 francs par jour obtenu sans risques et sans peine. Un tel commerce était bien séduisant. Aussi la fabrication des monnaies d’or, qui était, comme nous l’avons vu, de 2 millions en 1846, s’est-elle élevée à 115 millions en 1850, et à 254 millions pendant les onze premiers mois de 1851. Il y a eu probablement en ces deux années un bénéfice d’une dizaine de millions à partager entre le petit nombre des capitalistes assez haut placés pour dominer les fluctuations monétaires sur les divers marchés du monde, bénéfice, hélas ! qui sera payé tôt ou tard, soit par l’état, s’il prend la perte à son compte lorsque l’on démonétisera l’or, soit par les particuliers, si on ne les dédommage pas lorsque l’or tombera au-dessous de son cours.

Depuis le mois de décembre, le monnayage de l’or s’est ralenti : le bénéfice est moindre, parce que les prix du commerce se sont rapprochés du tarif légal ; mais cet équilibre ne saurait être de longue durée. La Russie est en mesure de jeter une valeur de 100 millions