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frappées pendant la révolution, ont également cours. On nous assure que la valeur nominale de ces diverses pièces est au moins de six millions. La loi nouvelle se tait à ce sujet. Il y a là en effet une de ces difficultés qu’il n’est pas facile de résoudre. Les sous étrangers sont moitié plus gros que ceux qu’on doit faire. Si on continue à les recevoir dans les campagnes, c’est qu’ils y jouiront d’une faveur inquiétante pour le nouveau système. Les retirer en les remboursant comme les autres, c’est offrir une prime à une introduction croissante ; les démonétiser purement et simplement, leur faire subir une perte de 150 pour 100 en les réduisant à l’état de vieux cuivre, c’est enlever trois ou quatre millions aux classes les plus pauvres, et on sait combien le paysan est sensible aux moindres pertes.

Une autre considération commanderait une extrême prudence dans la réforme monétaire qu’on projette. L’or commence à subir une dépréciation qui doit augmenter chez nous la valeur relative de l’argent. On sait que, dans les pays où la loi reconnaît plusieurs métaux pour mesures des prix et prétend fixer entre eux une proportion nécessairement variable, le métal qui est surévalué chasse l’autre, et reste seul dans la circulation. La raison en est simple. Le débiteur emploie naturellement pour se libérer le métal qui lui coûte le moins cher. Au siècle dernier, la loi anglaise attribuait à l’or monnayé une valeur légale supérieure au cours de l’or en lingots, tandis que l’argent se trouvait estimé au-dessous de son cours réel. Avec une livre d’or achetée en monnaie française 1,163 francs, on pouvait payer à Londres une dette de 1,168 francs, et au contraire, pour payer en argent cette même somme, il eût fallu envoyer au monnayage un lingot de quinze livres coûtant 1,200 francs. Le paiement en or procurait donc un bénéfice net de 37 francs, soit 3 un quart pour 100. L’or devint naturellement l’agent de toutes les transactions, le régulateur de tous les prix. L’argent prit écoulement vers l’étranger, et on ne parvint à le retenir qu’en le démonétisant, c’est-à-dire en lui laissant son prix naturel relativement à l’or, au lieu de lui attribuer un prix arbitraire par une fiction légale. Cette circonstance, coïncidant avec la surabondance de cuivre multiplié démesurément par le faux monnayage, a contribué à exhausser le prix des marchandises, du moins celui des denrées usuelles, à un niveau supérieur au cours des autres marchés. L’or, resté seul étalon des prix, ayant une estimation légale supérieure à sa valeur d’échange dans la proportion d’un vingt-septième, ou près de 4 pour 100, les marchands prirent l’habitude, dans les ventes, d’augmenter les prix de toutes choses d’environ 4 pour 100. Indifférentes aux gens qui vendent et achètent par métier, les variations de ce genre sont des fléaux pour ceux qui n’ont pas la faculté de rétablir l’équilibre, tels que les rentiers et les salariés.