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de 2 à 5 pour 100. Il y a à Paris plusieurs changeurs de sous qui accaparent ceux que reçoivent les marchands des halles, les facteurs, les gens de petits métiers, et qui en font même venir des provinces où il y a engorgement ; ils vont les revendre la veille des jours fériés aux marchands de vin des barrières. Un de ces négocians entre autres colporte ces sous dans deux voitures qui lui appartiennent, et réalise, à ce qu’on nous a assuré, un bénéfice de 6 à 7,000 francs par année.

Les petits marchands de la campagne ont recours à divers moyens pour éviter la perte du change. Dans plusieurs pays, et notamment en Bretagne, les boutiquiers ne donnent pas une commission à leurs fournisseurs sans stipuler qu’il y aura un tiers ou un quart de la somme payée en petite monnaie. Dans certaines villes, on fait circuler le cuivre sans le déplacer. Le débiteur se libère en souscrivant un billet au porteur payable en sous, et ce billet court de mains en mains comme un papier de banque jusqu’au jour où un des porteurs éprouve le besoin de réaliser. Mais la perspective d’un recouvrement en une valeur qu’il n’est pas possible d’utiliser sans perte exerce une influence sur les transactions. On se dédommage naturellement en élevant le prix des services et des marchandises en proportion du sacrifice qu’on est obligé de faire pour le change.

Il y a, avons-nous dit, dans les deux mille huit cent trente-quatre cantons de la France, plusieurs milliers de commerçans qui trafiquent sur le cuivre, et qui ont en mains pour des millions de gros sous. Ces spéculateurs se contentent aujourd’hui d’une prime de 20 à 30 francs, lorsqu’ils reçoivent une caisse de monnaie pesant 100 kilogrammes, parce que la valeur effective des sous n’est pas mise en question. N’exigeront-ils pas une prime beaucoup plus forte, lorsque ce même poids de 100 kilogrammes, au lieu de représenter 500 francs, aura acquis du jour au lendemain une valeur idéale de 1,000 francs ? N’hésiteront-ils pas à emmagasiner des sous jusqu’à ce que la monnaie réduite ait pris un cours naturel et incontesté ? Si pareille chose arrivait sans que le gouvernement y remédiât par le moyen que nous indiquons plus loin, deux effets également déplorables se produiraient aussitôt. D’une part, la crainte d’un discrédit rendant les sous beaucoup plus rares dans les campagnes, les achats qui ne s’y font qu’en petite monnaie se ralentiraient progressivement ; d’autre part, le détaillant, entrevoyant une perte possible sur la monnaie qu’il serait obligé de recevoir, se dédommagerait en élevant dans une proportion plus forte, suivant l’usage, le prix de toutes les menues denrées, et, comme en définitive ce sont les possibilités de la vente en détail qui déterminent le cours des marchandises, il se produirait une hausse fictive, ressentie même dans les hautes sphères commerciales. Qui perdrait à ce dérangement d’équilibre ? L’état d’abord, c’est-à-dire les