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heures la paierait en deux ou trois jours. C’est là, nous le savons bien, un maximum de production qui ne peut être atteint qu’exceptionnellement ; mais, à ce qu’il paraît, on obtient aisément une moyenne de 20,000 pièces par jour. Dans ces limites, les contrefacteurs produiraient par an neuf millions de décimes, valant 900,000 fr. Le métal, à raison de dix grammes au décime, aurait coûté environ 200,000 fr. En affectant une centaine de mille francs aux frais d’outillage et de manipulation, il resterait un bénéfice nets de 600,000 fr., qu’un très petit nombre de personnes pourraient se partager.

On prétend que la difficulté est moins de fabriquer la monnaie que de lui donner cours, que les coupables se dénonceraient eux-mêmes en émettant des millions de pièces neuves. Il nous semble au contraire que la fraude serait singulièrement favorisée par une refonte générale de la petite monnaie. Les sous en circulation aujourd’hui sont protégés contre la contrefaçon par leur vétusté même. Des pièces obtenues par le procédé expéditif de la presse ne pourraient être lancées que si on les remaniait une à une pour en amortir l’éclat : de là un travail disproportionné avec les bénéfices ; mais, si le projet à l’étude était sanctionné, la substitution des pièces nouvelles aux anciennes durerait quatre ou cinq ans. Pendant cette période, il y aurait dans toutes les caisses, dans toutes les poches, des pièces neuves auxquelles l’œil et la main ne seraient pas accoutumés. Entre ces pièces fabriquées la veille, supposez une identité parfaite de matière, de poids et d’aspect ; la chose est possible, et elle est à craindre : comment distinguera-t-on les valeurs frauduleuses dans ce torrent d’affaires où roule incessamment la monnaie de cuivre ? Des affidés multipliant les petits achats, un commis distribuant des salaires dans de grandes entreprises, un marchand dans son comptoir, et surtout un de ces changeurs comme il y en a dans toutes les villes, qui opèrent spécialement sur les monnaies de cuivre, suffiraient pour en répandre de très fortes sommes sans éveiller les soupçons.

Beaucoup de personnes inclinent à croire que la surabondance de la menue monnaie dans le commerce est une facilité de plus, et que les sous décimaux, fussent-ils multipliés par la contrefaçon, ne sauraient influencer le prix des marchandises, puisqu’ils sont destinés uniquement à servir d’appoint : c’est là une bien dangereuse erreur. Qu’est-ce donc qu’un appoint ? Nous lisons dans l’exposé des motifs qu’aux termes d’un décret de 1810 « la monnaie de cuivre ne pourra être employée dans les paiemens, si ce n’est de gré à gré, que pour l’appoint de la pièce de cinq francs[1]. » Chacun pourrait donc forcer

  1. Avant cette loi de 1810, on étai sous l’empire de l’ordonnance de 1738, qui autorisait à faire entrer le cuivre jusqu’à concurrence de 10 livres dans les paiemens de 400 francs et au-dessous, et dans la proportion d’un quarantième pour les sommes audessous de 400 livres.