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décret, jusqu’en 1655, ce prince réussit à maintenir les deux métaux en équilibre, et ce fut, on peut le dire, un des chefs-d’œuvre du despotisme ; mais enfin les supplices les plus cruels n’empêchèrent pas qu’on n’échangeât deux, trois, et successivement jusqu’à quinze pièces de cuivre contre une pièce d’argent, Il aurait fallu aller jusqu’à cent pour atteindre le pair ; mais, en 1663, une révolte furieuse donna au tyran une leçon d’économie politique. Pierre-le-Grand se rapprocha de l’ordre naturel en faisant du cuivre une monnaie d’appoint : il eut le tort seulement de la surévaluer arbitrairement, en lui attribuant une puissance commerciale dépassant son prix naturel de 300/100 d’abord, et ensuite de 560/100. Cette proportion fut maintenue sous les deux règnes suivans. Comme on avait besoin d’or et d’argent pour nouer des communications avec l’Europe, on augmenta démesurément pour l’intérieur cette monnaie de cuivre, dont la valeur intrinsèque était arbitrairement quintuplée. L’état en avait fabriqué pour une somme équivalant à 16 millions de fr. (4 millions de roubles) : la contrefaçon extérieure en introduisit pour 25 à 30 millions. Par suite de cette manœuvre, les étrangers payaient les marchandises russes cinq ou six fois moins que leur prix réel, tandis que la dépréciation du cuivre, déterminant la hausse des menues denrées, infligeait aux pauvres des pertes de tous les instans. Les souffrances devinrent si vives, que le gouvernement en prit l’alarme. On se jeta dans une exagération opposée, en élevant la valeur intrinsèque des monnaies de cuivre au pair de leur valeur nominale. On pense bien qu’un tel changement ne s’opéra pas sans une perte énorme pour le gouvernement, et sans un agiotage désastreux pour la foule ignorante. On se rapprocha, vers le milieu du siècle, de la combinaison la plus généralement adoptée en Europe, qui consiste à doubler la valeur intrinsèque du métal, de telle façon qu’avec les frais du monnayage la plus-value ne soit pas assez forte pour tenter les faussaires. Cette proportion fut observée de 1757 à 1810. À cette dernière date, les besoins de la guerre et la perturbation occasionnée par la monnaie de papier semblaient justifier un affaiblissement de poids ; mais, chose bien remarquable, que nous trouvons dans un livre écrit pour l’éducation du prince qui règne actuellement en Russie[1], les effets de cette dégradation se manifestèrent sur-le-champ dans le prix du travail et le cours des marchandises « tant il est vrai, ajoute l’auteur que nous citons, qu’il vaut mieux supporter un vice léger dans les monnaies que d’y remédier, si on ne le peut faire qu’en altérant leur valeur. » Cette leçon ne fut pas perdue, car en 1839 l’empereur Nicolas rendit aux monnaies de cuivre le poids et la valeur qu’elles avaient au siècle dernier.

  1. Le Cours d’Economie politique de Henri Storch, t. IV, note XIII.