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une très innocente plaisanterie de ses compagnes qui faillit avoir des conséquences fâcheuses. Un jour elle voit les pensionnaires venir à l’unanimité lui rire sous le nez, les joues chargées d’une rougeur inaccoutumée. Alors la colère s’empare d’elle ; une idée diabolique traverse son esprit ; elle se venge en secouant parmi ses compagnes des germes de haine, en excitant la jalousie et l’envie entre elles, en minant sourdement leurs relations affectueuses, jusqu’à ce qu’un beau soir, ses manœuvres perfides étant découvertes, elle se voie sommée de répondre aux accusations portées contre elle. Ce coup la frappa au cœur et la jeta dans un désespoir qui faillit l’emporter. Se voir accusée de mensonge, se sentir humiliée, inférieure en ce moment à toutes les personnes devant qui sa honte était étalée, c’était trop à la fois pour cette orgueilleuse enfant. Dès-lors, elle promit de rester toujours fidèle à la vérité et d’humilier sa fierté ; elle a tenu la première de ces promesses, mais, quant à la fierté, elle lui resta toujours.


II

Au sortir du pensionnat, Marguerite retourna chez ses parens, qui continuèrent d’habiter à Cambridge jusqu’en 1833, époque où ils allèrent demeurer à Groton. Représentons-nous Marguerite en ces années de première jeunesse et d’adolescence. Elle est alors ce qu’elle sera toute sa vie, cherchant et ne trouvant pas, inquiète, obligée de se nourrir, pour ainsi dire, de sa substance et de se dévorer elle-même, car jamais femme n’eut une destinée plus triste que Marguerite les occasions de se produire avec toute sa force lui échappèrent ; les grands événemens manquèrent à sa vie. Marguerite n’était point belle, et son aspect n’était rien moins que séduisant : des tics nerveux ridicules, un son de voix désagréable, un accent hautain, ce n’étaient point là des qualités capables de lui concilier les coeurs. « Tout repoussait en elle à première vue, dit Emerson, et lorsqu’elle me fut présentée pour la première fois, je dis en moi-même : Nous ne ferons jamais long ménage ensemble. Elle faisait une impression désagréable sur les personnes qui la voyaient pour la première fois, à ce point qu’on désirait n’être pas dans le même appartement qu’elle. » Marguerite savait tout cela, et elle en souffrait sans doute ; pourtant il lui fut donné de supporter sa laideur plus facilement qu’il n’est ordinaire aux autres femmes : la vie intérieure refroidit en elle les passions. De bonne heure d’ailleurs elle détourna le cours naturel des passions, et, au lieu de l’amour, rechercha l’amitié. Elle s’appliquait ces vers de Barry Cornwall : « Elle n’était ni belle, ni gracieuse, et n’avait, pour conquérir notre amour et gagner notre orgueil, des trésors ni de beauté ni d’esprit ;