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mérite de M. Gade, c’est d’avoir, dans la plupart de ses symphonies, dans sa Comala surtout, su garder l’empreinte de ce caractère que j’appellerai, si l’on veut, scandinave.

Je connais de M. Gade quatre symphonies, toutes remarquables à divers titres, mais parmi lesquelles on distinguera de préférence celle en la, très renommée à Leipzig, et une autre dont la désignation spéciale m’échappe, ayant pour thème principal un air national danois. Je passe sur un ouvrage dramatique exécuté dernièrement à Copenhague sous le titre de Mariotta, partition agréable et facile, mais qui, pour l’importance musicale, est loin de valoir ses Echos d’Ossian (Nachklänge von Ossian), et cette ravissante ouverture qu’il appelle In the Highlands, résumé poétique et plein d’intérêt des mélodieuses impressions de l’école romantique. Ossian, les montagnes d’Écosse, cette préoccupation du Scandinave cherchant à travers l’espace et les siècles ses affinités originales, mérite ici qu’on la remarque. Walter Scott, dans le Pirate, a fait d’excellentes pages sur les traces que les peuples de la Scandinavie ont laissées de leur occupation dans les points extrêmes de la Calédonie, dans les îles Orkney par exemple, et je renvoie au roman du célèbre Écossais quiconque s’étonnerait de cette tendance si familière au génie des artistes du Nord, je ne dirai pas de s’approprier ces traditions ossianiques, car ils les regardent, et à bon droit, comme leur appartenant, mais d’y revenir en toute occasion. Ainsi ces échos de la lyre calédonienne, qui tant de fois ont servi de texte aux plus heureuses inspirations de M. Gade, voici encore que nous les retrouvons avec Comala, son œuvre capitale pour la puissance de l’instrumentation, la verve mélodique, l’originalité de la composition et des effets, celle enfin où le vrai maître se révèle.

Comala est un intermède-symphonie, une de ces œuvres instrumentales mêlées de récits, de cavatines et de choeurs, espèce d’oratorio, moins l’idée religieuse. Évidemment la musique cherche aujourd’hui de ce côté des voies nouvelles ; il y a une forme d’épopée lyrique à découvrir, et tous les essais de la jeune école allemande, toutes les tentatives des compositeurs de la pléiade de Leipzig, depuis M. Gade jusqu’à MM. Robert Schumann et Wagner, convergent vers ce but. Après que Gluck eût élevé le drame musical à des hauteurs ignorées de Haendel et que depuis on n’a point dépassées, vint Haydn dont la muse pastorale et fleurie, assez médiocrement préoccupée de l’étude des passions, n’eut en quelque sorte d’autre souci que de se laisser béatement bercer sur le sein de la nature. La musique instrumentale vit alors s’agrandir son royaume ; jusque-là souveraine absolue, la voix humaine ne régna plus que sur des forces pour ainsi dire émancipées et jalouses désormais de leur indépendance. Ce fut l’enfance de la musique instrumentale, ce fut son âge d’or et son Arcadie, — temps heureux où l’orchestre, déjà