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publique, trois conditions d’un gouvernement légitime. La première, c’est que la loi soit l’expression de la volonté générale : partout où la loi est l’expression de la volonté particulière d’un seul homme ou de quelques hommes, il y a tyrannie ; partout où la loi est l’expression de la volonté générale, il y a liberté et dignité. Mais quoi ? si la loi, quoique étant l’expression de la volonté générale, n’est pas juste ! Selon Rousseau, et nous retrouvons ici le publiciste si cher à l’école démocratique, la loi est toujours juste, parce qu’elle est la loi[1]. Mais, de plus, la volonté générale sera toujours juste, parce que les citoyens seront élevés de manière à toujours aimer la justice et à la préférer à leurs intérêts particuliers. Ici Rousseau insiste sur le soin que le législateur doit donner à l’éducation des citoyens : c’est par l’éducation, c’est en formant les citoyens à la vertu que ceux-ci seront disposés à toujours rapporter leurs volontés particulières à la volonté générale, ce qui est la seconde règle de l’économie publique et la seconde condition d’un gouvernement légitime.

La troisième règle de l’économie publique est de pourvoir aux besoins publics. Ici nous nous rapprochons du sens que nous attribuons de nos jours au mot d’économie politique ; mais nous nous en éloignerons fort pour le fond des maximes. C’était par la morale que le législateur pourvoyait au gouvernement des personnes : ce sera par la morale aussi qu’il pourvoira à l’administration des biens, et de même qu’il inspirait la justice à la volonté générale et la vertu aux volontés particulières à l’aide de l’éducation, de même il règle l’administration des biens dans son état en inspirant ou en imposant aux propriétaires le désintéressement, la simplicité et le goût de la pauvreté. Au lieu d’un système d’économie politique qui traite de la production et de la répartition de la richesse, il fait un système de morale qui nous apprend à nous passer de la fortune et même à la craindre comme un danger.

Venons aux exemples, afin de montrer combien l’économie politique de Jean-Jacques est contraire à l’économie politique de nos jours. Je suppose, par exemple, qu’il plût au gouvernement de décréter qu’à moins d’avoir trente mille livres de rente, personne n’a le droit de porter un habit de drap fin, ou de manger de la venaison. Quelles réclamations de toutes parts ! réclamations de la part de ceux qui achètent, réclamations plus vives encore de la part de ceux qui vendent. Eh quoi ! ne puis-je pas dépenser mon argent comme bon me semble ? Si j’aime mieux être bien vêtu que bien nourri, ou si j’aime mieux être bien vêtu que bien logé, de quel droit l’état vient-il se mêler de ma toilette ou de ma nourriture ? Je paie mes contributions ; que veut-on

  1. « Comme si tout ce qu’ordonne la loi pouvait ne pas être légitime… » page 587.