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avaient contribué à produire cette émotion, il était douteux qu’ils pussent retrouver le pouvoir de la contenir. Le vice-roi Sé-ou ne cessait cependant de protester de son impuissance et de sa bonne volonté. Il avait offert au gouverneur de Hong-kong d’en référer à l’empereur et d’essayer par cette souveraine influence de calmer les esprits excités. Les délais nécessaires pour recevoir de Pe-king l’édit impérial avaient été accordés, et les Anglais juraient que, si la réponse attendue n’était point favorable, c’en était fait de Canton et des forts du Bogue ; leurs boulets cette fois n’y laisseraient pas pierre sur pierre.

Le 3 avril, un courrier extraordinaire, porteur d’une plume ajoutée à ses dépêches, et qui avait parcouru en quatorze jours les douze cents milles qui séparent Pe-king de Canton, remit enfin au vice-roi Sé-ou l’édit que l’empereur avait touché du bout de son pinceau vermillon. « Les cités, disait le sage Tao-kouang, ont été élevées pour protéger le peuple, et la volonté du peuple sert de base aux décrets du ciel. Si les habitans de Canton refusent aux étrangers l’entrée de leur ville, comment puis-je promulguer un édit impérial qui méconnaisse ce vœu populaire ? » Lorsque cette décision fut communiquée au gouverneur de Hong-kong, M. Bonham avait pu apprendre par le courrier arrivé à la fin de mars quelles étaient, au sujet des complications dont les côtes de Chine étaient sans cesse le théâtre, les dispositions de la métropole il savait que le cabinet britannique, fatigué de toutes ces querelles locales, avait voulu prendre ses sûretés contre les entraînemens de son représentant dans les mers de Chine. Par une division inusitée de pouvoirs, le commandant des troupes et celui des forces navales avaient été soustraits à l’autorité du gouverneur. M. Bonham pouvait requérir la force armée pour la défense de la colonie, mais aucune mesure offensive ne devait être prise sans un ordre exprès venu de Londres. Les mêmes hommes d’état qui gourmandaient naguère la faiblesse de sir John Davis n’avaient pas craint d’enchaîner par ce moyen énergique le zèle de son successeur. C’est que les circonstances étaient singulièrement changées depuis le mois de mars 1847. L’Angleterre, alarmée par l’état d’agitation de l’Europe et par les troubles récens de l’Inde, rejetait bien loin de sa pensée des complications secondaires. En présence de pareilles dispositions, il ne restait plus à M. Bonham qu’à porter la décision de la cour de Pe-king à la connaissance des sujets britanniques. C’est ce qu’il fit le 5 avril 1847, en prescrivant aux négocians de Canton et de Hong-kong de se conformer scrupuleusement à cet arrêt suprême. Tel fut le premier pas rétrograde de la politique anglaise dans les mers de Chine, tel fut aussi le signal du déclin de l’influence européenne sur les côtes du Céleste Empire.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.