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de la main-d’œuvre permettait de livrer au taux de 44 centimes le kilogramme un sucre dont la blancheur faisait honte à l’aspect terreux des productions de Manille et de Java. Il semblait donc qu’il y eût à Amoy, non moins qu’à Canton et à Shang-hai, tous les élémens d’un commerce lucratif et prospère. Les importations anglaises dans ce port ne dépassaient point cependant, quand nous le visitâmes, le chiffre de 4 millions, et l’Angleterre, l’Inde, la Nouvelle-Galles du Sud n’avaient reçu d’Amoy que la valeur insignifiante de 173,000 francs. C’est encore au gouvernement chinois que les Anglais ont fait remonter la responsabilité de cette nouvelle déception. Ce qui reste incontestable, c’est que les spéculateurs étrangers n’ont point trouvé dans les ports du Fo-kien les intermédiaires qu’ils avaient rencontrés à Canton et à Shang-hai. Pour se défaire de leurs shirtings et de leurs long-cloths, il a fallu qu’ils se missent en relations directes avec le petit commerce et les détaillans. Aussi toutes les affaires se traitent encore au comptant, et le port d’Amoy est resté une place secondaire.

Ce fut le 18 mars que nous sortîmes de la baie profonde d’Amoy, où le souffle de la mousson n’arrive jamais qu’affaibli. La température étouffée que nous avions dû subir au fond de cet entonnoir entouré de gigantesques montagnes nous rendit plus précieux l’air vif et fortifiant que nous trouvâmes au large. Désormais nous ne pouvions plus conserver de doutes sur le moment de notre retour à Macao. Nous n’étions pas encore arrivés à l’époque où la mousson hésitante abandonne quelquefois le navigateur en vue même du port. La brise de nord-est ne cessa pas un instant d’enfler nos voiles et de nous porter rapidement vers le chenal des Lemas. Le 20 mars, à une heure, nous étions mouillés sur la rade de Macao. Avant de s’embarquer sur la Bayonnaise, M. Forth-Rouen avait remis le service de la légation à un jeune élève-consul, M. Duchesne, dont les tendances sérieuses et la maturité précoce justifiaient amplement cette flatteuse confiance. Ce fut M. Duchesne qui, impatient de revoir ses anciens compagnons de voyage, vint nous apprendre lui-même quels événemens s’étaient passés sur les bords du Chou-kiang pendant notre absence.

Les Anglais avaient concentré leurs forces à Hong-kong, et les chances d’une nouvelle collision semblaient s’accroître de jour en jour. Le vice-roi de Canton, le mandarin Sé-ou, jouait résolûment son rôle. Il ne se refusait point à exécuter le traité consenti par Ki-ing, il était prêt, disait-il, à ouvrir les portes de Canton ; mais il affirmait que le premier Européen qui en franchirait le seuil serait infailliblement massacré par le peuple. Les murs de Canton étaient en effet couverts d’appels aux armes, de placards incendiaires, d’excitations au meurtre des barbares : il y avait là une agitation réelle ou factice ; mais si les mandarins, par un calcul de leur politique astucieuse,