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Siam et de Cochinchine, vers les îles de la Malaisie, de Manille jusqu’à Singapore : ils ont, pour ainsi dire, le privilège de l’émigration. Les mandarins n’osent point inquiéter cette race remuante, et les édits de l’empereur ne sont pas faits, pour elle. Ce sont, il est vrai, les hommes seuls qui émigrent ; aucune femme ne les suit sur la terre lointaine. Les émigrans fo-kinois ne se marient qu’à leur retour et lorsque leur fortune est faite. Il ne faut souvent que quelques années pour satisfaire les vœux d’une ambition modeste : si des circonstances indépendantes de leur volonté retiennent cependant loin de la patrie ces courageux exilés, chaque année du moins une partie de leur gain est envoyée à leur famille. Un homme d’une probité éprouvée recueille les fonds de chacun des émigrans, et reçoit, moyennant un faible intérêt qu’il prélève, la mission de les distribuer en Chine. On a vu des jonques emporter ainsi de Batavia ou de Singapore jusqu’à 60,000 dollars.

Les Fo-kinois sont actifs et industrieux plutôt que cupides. Ils ont l’instinct du commerce et de la navigation : on ne trouve guère de lettrés parmi eux ; ils ne connaissent la plupart du temps que le nombre de caractères suffisant pour tenir leurs comptes. Leur dialecte, altéré par le mélange des idiomes étrangers, est barbare et incompréhensible pour les habitans des autres provinces. Quand un missionnaire récemment débarqué en Chine est obligé de voyager sous la conduite d’un guide chrétien dans l’intérieur de l’empire, on ne connaît pas de meilleur moyen d’assurer son incognito et de le mettre à l’abri des questions indiscrètes que de dire à tous les curieux : Que voulez-vous demander à ce pauvre homme ? Ne voyez-vous pas qu’il ne peut vous répondre ? C’est un Fo-kinois.

Nous ne passâmes que trois jours dans la baie d’Amoy, et ce peu de temps, nous l’employâmes à parcourir avec une fiévreuse impatience les rues de cette grande ville qui renferme, dit-on, près de deux cent mille ames. C’est dans les magasins d’Amoy qu’il faut venir faire ses provisions de lanternes et de parasols, car la fabrication du papier est une des industries spéciales de la province. Le coton, la paille de riz, l’écorce de mûrier et le bambou passent tour à tour sous les foulons du Fo-kien. Certains districts de la province produisent aussi pour la consommation intérieure des quantités innombrables de tuiles, de briques et de poteries grossières. Ce fut d’Amoy que nous emportâmes les plus belles racines sculptées et le meilleur thé. Un navire de commerce aurait pu y trouver également du camphre de Formose, de la rhubarbe, du gypse, de l’alun et d’autres denrées de moindre importance ; mais le produit qui semblait dans ce port promettre le plus bel avenir aux transactions européennes, ce n’était ni le thé, ni le papier, ni les tuiles : c’était le sucre. Les plaines du Fo-kien et de Formose conviennent admirablement à cette riche culture. Le bas prix