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Quand le jeune archer chrétien eut décoché assez gauchement plusieurs flèches contre le mur, nous voulûmes aussi essayer notre adresse ; mais cet arc chinois était indigne de notre vigueur : à la troisième flèche que nous lançâmes, il se trouva hors de service. Quant à l’arquebuse, jamais arme plus misérable ne figura aux mains d’un soldat. Le canon, mince et rongé par la rouille, devait mettre en péril la vie du malheureux qui osait, pressant le levier coudé auquel était adapté la mèche, enflammer le salpêtre enfermé dans un pareil tube.

Le culte catholique avait hérité, dans l’île de Chou-san, de plusieurs édifices qu’une piété superstitieuse avait consacrés au service du dieu Fo, et dont les propriétaires convertis s’étaient empressés de réclamer la possession. Mgr Lavaissière voulut nous faire visiter quelques-unes de ces chapelles rustiques, bâties dans les gorges les plus pittoresques de l’île. On oublie facilement qu’on est en Chine quand on parcourt les montagnes de Chou-san. On pourrait se croire, si l’on ne consultait que l’aspect général du paysage, sur les côtes de Provence ou sur le revers oriental des Pyrénées. Ce sont les mêmes arbres qui s’offrent à la vue, ce sont les mêmes oiseaux qui égaient le bocage. Sous les larges feuilles du noyer et du châtaignier, vous entendrez la voix des moineaux qui se querellent, vous verrez le merle se glisser dans les buissons, l’hirondelle se jouer autour des toits, le corbeau se promener gravement au milieu du sentier. Ne cherchez point d’ailleurs dans cette île les bois touffus et les verts ombrages des tropiques ou des climats du nord. L’ombre s’est réfugiée dans les vergers, où vous retrouverez, aux premiers jours de l’été, la plupart des fruits de l’Europe. Dans les campagnes, ne venez admirer que la plus intelligente culture le riz dans la plaine, les patates douces sur les hauteurs, le thé à mi-côte, l’arbre à suif sur le bord des routes, voilà ce qui vous rappellera le curieux empire au milieu duquel un circuit de cinq mille lieues nous a transportés.

Si nous n’eussions pas visité l’île de Chou-san, nous eussions pu,- le croira-t-on ? — quitter la Chine sans avoir jamais vu un arbuste à thé ; mais, dès la première promenade que nous fîmes sous la conduite de Mgr Lavaissière, notre curiosité à cet égard fut satisfaite. On devine que nous voulûmes tous examiner de près et toucher de nos mains cet arbuste précieux, qui a rendu l’Occident tributaire de la Chine. Mgr Lavaissière eut la bonté de faire préparer devant nous une des branches que nous avions cueillies, branches assez semblables à celles d’un camélia qu’émailleraient les blanches corolles du myrte. Nous vîmes rouler plusieurs fois sous une main rugueuse les feuilles, d’où s’échappait un suc verdâtre, et qu’on exposait de temps en temps, après les avoir placées sur un tamis de rotin, à la chaleur d’un feu de paille. Cette opération devait se répéter si souvent, que nous n’eûmes point la patience d’en attendre la fin, et que nous perdîmes ainsi le