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au moment où Marguerite brillait de tout l’éclat de sa jeune célébrité et de son éloquence : elle tomba malade, et, pendant quelques jours, ses parens craignirent pour sa vie. « Pendant tout ce temps-là, dit Marguerite, ma mère me soignait jour et nuit, et m’abandonnait à peine un instant. Mon père, habituellement si peu prodigue de marques d’affection, fut amené par son anxiété à m’exprimer ses sentimens pour moi en termes plus forts qu’il ne l’avait fait de toute sa vie. Il pensait que je n’en reviendrais pas, et un matin, dans ma chambre, après quelques mots de conversation, il me dit : — Ma chère enfant, j’ai pensé à vous toute la nuit, et il ne me souvient pas que vous ayez fait aucune faute. Vous avez des défauts comme nous en avons tous, mais je ne connais point une seule faute qu’on puisse vous reprocher. — Ces paroles si étranges et si nouvelles chez lui m’affectèrent jusqu’aux larmes… La famille fui profondément émue par la ferveur de sa prière, le dimanche matin, lorsque je fus entrée en convalescence. — Il n’y a pas de place, disait-il, dans mon esprit pour une seule pensée pénible, puisque notre fille est rétablie. »

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que, dans l’expression de cette tendresse, il y ’a encore de la sévérité. Le père reste encore juge, et, bien qu’il témoigne d’un certain repentir, on sent là cependant je ne sais quelle hésitation et quelles réticences. De son côté, Marguerite, nous l’avons dit, est plus que réservée dans ses sentimens pour son père. Peut-être ne put-elle jamais lui pardonner d’avoir jeté dans son ame les germes de cette fièvre qui la dévora toute sa vie. Si Marguerite eût été laissée à sa propre nature, il est probable en effet que sa vie eût été tout autre. La mobilité inquiète, l’agitation nerveuse, l’activité maladive et sans but, eussent été remplacées par le calme, la sensibilité, la douceur. Au lieu de la prophétesse, nous aurions eu la femme, qui n’a jamais existé chez elle, car plus tard elle-même était embarrassée de dire à quel sexe appartenait sa nature. « .Elle avait trouvé, nous dit Emerson, quelques traits d’elle-même, à ce qu’elle assurait, dans une désagréable nouvelle de Balzac, le Livre mystique, où un personnage équivoque exerce alternativement une influence masculine et féminine sur les acteurs du récit. » Le père tua en elle la femme, et pour toujours. C’est un fait trop commun, hélas ! que cette imprudence des parens qui a des conséquences si funestes aujourd’hui plus que jamais, que cette inintelligence des inclinations naturelles des enfans qui plus tard a fait dire à plus d’un comme Marguerite aurait pu le dire d’elle-même : — Comment se fait-il donc que nous soyons du même sang ? Si nos ames étaient dépouillées de leur enveloppe charnelle et laissées à leurs affinités naturelles, elles ne se rencontreraient pas une seule fois dans tout le cours de l’éternité !

Son père lui donna, on ne voit trop pour quelle cause, une éducation