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faire que de jeter l’ancre au milieu du canal de Tea-island, remettant au lendemain la recherche d’un meilleur mouillage. Le lendemain en effet, dès le point du jour, nous fîmes explorer par un de nos canots le fond de la baie, et nous vînmes occuper, à quelques encâblures de la côte, le poste qu’avait choisi en 1841, pour canonner les batteries de Ting-haë, la flotte de l’amiral Parker.

L’île de Chou-san, que l’on considère avec raison comme la clé du Yang-tse-kiang, a été deux fois conquise par les Anglais. Au mois de juillet 1840, le commodore sir Gordon Bremer se porta sur cette île, où les Chinois ne s’attendaient guère à une pareille attaque. Le vaisseau le Wellesley vint mouiller dans le port intérieur à portée de canon des quais de Ting-haë, foudroya les jonques de guerre qui adent paru prendre une attitude agressive, et fit débarquer, sous la protection de ses batteries, des troupes qui entrèrent sans coup férir dans une ville abandonnée. Lorsqu’au mois de janvier 1841 l’astucieux Ki-shan eut obtenu des Anglais la restitution de Chou-san, le premier soin des Chinois fut de mettre en état de défense une île dont la perte avait douloureusement affecté l’empereur Tao-kouang. Une fonderie de canons fut organisée à Ning-po, et bientôt une artillerie aussi formidable qu’avait pu la faire une grossière imitation des procédés européens fut transportée par de nombreuses jonques à Ting-haë[1]. Les Anglais, à la reprise des hostilités, songèrent encore une fois à s’emparer d’une île qui sera toujours, sur les côtes du Céleste Empire, l’inévitable pivot de toute expédition maritime : ils trouvèrent les Chinois sur leurs gardes ; mais il faut avoir vu les naïves dispositions par lesquelles les mandarins de Chou-san s’étaient promis de décourager ou d’anéantir les barbares pour apprécier toute la puérilité d’une stratégie qui, malgré tant de sanglantes leçons, ne semble point encore avoir pris la guerre au sérieux.

Nous avons étudié avec intérêt ce fameux champ de bataille, théâtre de la victoire la plus décisive et la moins disputée. La ville de Ting-haë est éloignée d’un kilomètre de la mer. Les murailles qui l’entourent sont peu élevées ; elles n’ont jamais été destinées à porter de l’artillerie. Da côté du nord-ouest, la ville, assise sur l’emplacement d’un marais desséché, est dominée par une chaîne de collines qu’embrasse en partie le mur d’enceinte. Un large canal serpente à travers la plaine, et introduit jusqu’au centre de Ting-haë les barques du Che-kiang. Une route pavée, luxe peu ordinaire aux cités chinoises, relie la ville au

  1. L’ame des canons n’était pas forée ; au centre du moule se trouvait adapté un mandrin du calibre de la pièce autour duquel la fonte se refroidissait. La surface raboteuse qu’on obtenait par ce procédé était polie à l’aide d’une râpe en acier garnie de fortes pointes. Les affûts n’étaient que des blocs de bois massif qu’on ne pouvait mouvoir ni à droite ni à gauche.