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vers ce monde inconnu où leur esprit rêveur pressent des clartés nouvelles. Les ambassadeurs étrangers qu’à diverses reprises les empereurs admirent à la cour de Pe-king ont toujours eu à se louer des mandarins tartares, à se plaindre au contraire des mandarins chinois. Ce contraste a frappé tous les diplomates, tous les officiers que les traités de Nan-king et de Wam-poa ont mis en rapport avec les autorités chinoises. On serait donc tenté de regretter que l’élément indigène ait continué à prédominer dans le Céleste Empire en dépit d’une double conquête. L’invasion des barbares infusa un sang plus généreux dans les veines appauvries de la société romaine : rien de semblable ne s’est passé en Chine. Les Mantchoux se sont humiliés devant une civilisation dont ils étaient depuis long-temps tributaires ; ils se sont faits les disciples du peuple vaincu et ont aspiré à la gloire des lettrés. Leur esprit, naturellement plus vif, plus enclin au progrès que celui des Chinois, a dû subir le joug d’une routine prétentieuse. Je ne sais à quels signes la Chine pourrait s’apercevoir que ce sont des Tartares qui la gouvernent, et par quel manque de déférence envers des préjugés séculaires les souverains mantchoux auraient mérité que les oulémas de l’extrême Orient évoquassent le souvenir des Ming ou rêvassent l’établissement d’une dynastie nationale. Les Taï-thsing ont donné, dans l’espace de deux siècles, sept souverains à l’empire[1], et chaque règne a vu les conquérans se fondre davantage dans la masse du peuple chinois. Le taou-tai Lin et le vice-roi Ki-ing sont des types qui s’effacent insensiblement, et dont la politique du nouvel empereur désavoue les tendances.

Les Mongols étaient des conquérans plus farouches que les Tartares orientaux. Leur passage en Chine ne fut qu’une occupation militaire. Ils vécurent d’abord dans des camps entourés de leurs coursiers et de leurs bestiaux ; puis, gagnés par les raffinemens de la vie chinoise, ils ployèrent leurs tentes et vinrent s’établir dans les villes au milieu d’un peuple cauteleux et habile en trahisons. Des révoltes soudaines les surprirent endormis dans une imprudente confiance. Sur quelques points, ils opposèrent aux rebelles une résistance désespérée ; mais lorsqu’en 1352 le fondateur d’une nouvelle dynastie, sorti d’un couvent de bonzes, se fut joint aux insurgés et eut franchi le Yang-tse-kiang, la cause des Mongols put être considérée comme perdue. Cinq années plus tard, se voyant sur le point d’être investi dans sa capitale, l’empereur Chun-ti prenait avec les débris de ses armées le chemin du nord, et les petits-fils de Genghis-khan s’abritaient de nouveau sous les tentes de feutre.

  1. Chun-tchi en 1644, Kang-hi en 1662, Youg-tching en 1723, Kien-long en 1736, Kia-king en 1796, Tao-kouang en 1821, Y-shing au mois de février 1850.