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Il faut bien le reconnaître, si le Coran est en réalité toute la loi musulmane, les livres de Confucius sont aussi toute la loi chinoise. Chaque ville, chaque village possède un temple élevé en l’honneur de ce grand philosophe ; les vice-rois, les gouverneurs sont tenus de lui offrir deux fois l’an un sacrifice solennel ; ils remplissent eux-mêmes l’office sacerdotal ; des lettrés leur présentent l’encens, le sam-chou et les fleurs, qu’ils déposent après neuf prostrations devant la tablette appendue au fond du sanctuaire. C’est aussi au père de la sainte doctrine que les étudians couronnés vont rendre grace de leurs succès ; c’est devant le nom du maître qu’ils inclinent jusqu’à terre leur front décoré du bouton académique. Si tous ces mandarins nourris de la morale de Confucius étaient des administrateurs intègres et des fonctionnaires capables, si le peuple qu’ils gouvernent jouissait des fruits de son travail, obtenait des tribunaux bonne et prompte justice, voyait les impôts qu’il subit appliqués aux grands travaux d’intérêt public, si la misère des classes inférieures, si les disettes qui désolent la Chine étaient un mal inévitable, et non la conséquence d’un mauvais gouvernement, ce n’est point sans quelque scrupule que je seconderais de mes vœux la moindre atteinte portée à une organisation qui a procuré des siècles de paix à une portion si considérable de l’humanité. Malheureusement la vénalité et l’incurie de l’administration chinoise ne sont aujourd’hui contestées par personne. Un nouveau Chi-hoang-ti[1] proscrirait sans pitié tous ces commentateurs des king, que la prospérité de l’empire n’en souffrirait guère.

En Europe, où l’on croit encore la nationalité chinoise frémissante sous le joug mantchou, c’est surtout aux inquiétudes d’une dynastie mal affermie sur un trône usurpé que l’on attribue le système d’isolement dans lequel cherche à s’enfermer le Céleste Empire. Il serait plus juste de laisser la responsabilité de cette politique à la présomption puérile des élèves de Confucius. Les lettrés chinois méprisent l’Occident ; ils sont sincèrement convaincus que des hommes qui ont conquis leurs grades en argumentant sur le Livre des vers (Chi-King) ou sur le Livre des annales (Chou-king), n’ont rien à apprendre des docteurs européens. Les Tartares ne sont pas infectés au même degré de ce bigotisme scientifique : ils tournent souvent des regards curieux

  1. Cet empereur, qui employa, dit-on, cinq cent mille ouvriers à bâtir la fameuse muraille de la Chine, et qui occupait le trône 200 ans avant Jésus-Christ, fut le plus audacieux et le plus impitoyable des novateurs. Lassé des représentations des lettrés et de la résistance qu’ils opposaient à ses projets, du même coup il proscrivit les docteurs et leurs livres ; mais cet acte despotique n’affranchit point la Chine du joug de la routine. Les livres se composaient alors de planchettes de bambou sur chacune desquelles le poinçon gravait une vingtaine de caractères. Les lettrés, avant de marcher au supplice, avaient pu enterrer quelques-uns de ces monumens, qui furent retrouvés après la mort de Chi-hoang-ti.