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sérieux que ceux qui pouvaient s’accomplir à l’ombre du sceptre impérial. La mission du christianisme en Chine, sa mission humaine, si je puis m’exprimer ainsi, n’est-elle pas de contraindre cette société pédante et sensuelle à rompre complètement avec le passé, à renier la loi de Confucius pour accepter l’idée des progrès qu’appelle impérieusement une population qui grandit toujours à côté d’institutions qui dépérissent sans cesse ? Les tempéramens exigés par une aristocratie littéraire toute gonflée de sa fausse science, les concessions au prix desquelles les jésuites se flattèrent de gagner la confiance des empereurs ne pouvaient, je le crains, qu’affaiblir la portée des nouvelles doctrines et qu’en émousser le tranchant. L’oeuvre de nos missionnaires dans le Céleste Empire n’est point de ces œuvres qui puissent s’accomplir à demi. Je ne comprends guère sur ce terrain quelle serait la différence entre un échec complet et une transaction. Si la foi catholique ne doit pas être la condamnation éclatante des préceptes égoïstes et du matérialisme grossier sous l’influence desquels se dissout aujourd’hui la société chinoise, cette foi n’est plus en Chine qu’une complication, qu’une cause d’agitation inutile. Les empereurs ont eu raison de la proscrire. Pour moi, je l’avouerai, dussé-je inscrire ici une illusion à laquelle l’avenir réserve peut-être un cruel démenti, je crois fermement que les prédications évangéliques finiront par opérer dans l’extrême Orient ce que le canon anglais ne pourrait jamais accomplir. Dans ma pensée, en révélant aux Chinois les vérités du christianisme, les missionnaires abaissent la barrière qu’avaient élevée contre tout progrès et toute amélioration l’orgueil des lettrés et le culte de Confucius. Entre les Chinois chrétiens et les étrangers des mers lointaines, l’obstacle d’une intraitable routine n’existe plus. Nous apportons à ce peuple immense, avec les grands dogmes consolateurs, l’idée féconde de la fraternité humaine ; nous ne venons pas compliquer de nouveaux rites les superstitions des bonzes ou les hommages hébétés des sophistes.

On comprend sans peine le culte que la reconnaissance d’un peuple décerna jadis à la mémoire de Confucius : jamais la philosophie n’avait mieux mérité ces honneurs suprêmes ; mais ce culte est aujourd’hui la pierre angulaire de la civilisation chinoise. Le tolérer, pactiser avec ses pratiques, ce serait souscrire à l’immobilité dans laquelle se complaît cette race léthargique. Tant qu’un Chinois se prosternera devant la tablette où brillent ces caractères sacrés : Tièn, — Tii, — Kùn, — Tsin, — Sze, -Koui, — le ciel, la terre, l’empereur, les ancêtres et le maître, il pourra se conformer aux rites extérieurs du christianisme, il n’aura pas l’esprit de sa foi nouvelle ; il sera ce que serait un Turc auquel on conférerait le baptême en lui permettant d’invoquer encore le nom et les préceptes de Mahomet.