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Le jour où la culture du pavot, acclimaté dans les plaines du Yunnan ou du Fo-kien, aurait affranchi le Céleste Empire du tribut que prélève sur ses finances l’opium de l’Inde anglaise, il est difficile de concevoir par quel lien mutuel, par quel besoin impérieux la Chine se trouverait encore rattachée à l’Europe. Replié sur lui-même, ce peuple, que la cour de Pe-king s’obstine à parquer sur un sol insuffisant, rentrerait dans un isolement dont les résultats se montreraient chaque jour plus désastreux. La passion de l’opium, source de tant de désastres et de tant de crimes, a du moins l’avantage de maintenir lia race chinoise en communication avec le reste de l’humanité. Comme la guerre, comme tant d’autres fléaux que nous maudissons sans les comprendre, ce funeste trafic a donc peut-être aussi sa portée providentielle.

Telles étaient les réflexions que nous suggérait l’aspect de cette vaste cité, qui ne voit flotter au confluent de ses deux fleuves d’autre pavillon étranger que celui qu’arbore sur sa demeure le consul britannique. Ning-po est le chef-lieu d’une des préfectures entre lesquelles se partage la riche province du Che-kiang. Une enceinte fortifiée l’environne ; cette enceinte affecte la forme d’un losange dont deux côtés regardent la campagne ; les deux autres faces sont baignées par le Yung-kiang ou par la rivière qui a déjà passé sous les murs de Tsi-ki et de You-yao. Un pont de bateaux unit les deux rives du Yung-kiang ; on traverse l’autre fleuve dans des barques. C’est sur la rive gauche de ce fleuve tributaire que le consulat britannique élève la croix de Saint-George en face des remparts de la ville. Des canaux s’embranchent de toutes parts sur les deux fleuves ; des faubourgs se pressent de tous côtés autour de l’enceinte.

Nous avons entendu des missionnaires qui avaient visité Sou-tchcou-fou et Nan-king proclamer que Ning-po était encore la plus belle ville de la Chine. S’il en est ainsi, le Céleste Empire n’a point de cité qu’on puisse comparer, je ne dis pas à nos villes européennes, mais aux plus modestes enceintes embellies par la fantaisie capricieuse des Osmanlis ou des Maures. Une tour dont les galeries ont été détruites par un incendie, des portes dont les frontons de granit offrent de bizarres ébauches de sculpture, tels sont, si vous parcourez la ville de Ning-po, si vous vous enfoncez au sein de ses faubourgs, les seuls objets dont l’aspect monumental arrêtera un instant vos regards. Ce que vous ne manquerez point cependant de remarquer dès le premier jour, ce qui justifiera peut-être à vos yeux l’admiration de nos missionnaires, c’est la largeur, c’est la régularité de quelques-unes des rues, c’est aussi la splendeur inusitée du double rang de boutiques alignées comme au cordeau de chaque côté de ces voies romaines. La boutique ! voilà ce qui vaut la peine d’être étudié dans une ville chinoise, voilà ce qu’il faut